L’érotisme subtil chez Edith Wharton (2)

The custom of the country, (La coutume du pays) 1913

Titre français : Les beaux mariages

Dans l'extrait choisi ici, Ralph et Ondine sont en voyage de noces. Leur bateau a abordé à Naples et ils font étape dans la campagne siennoise. Ralph est un jeune aristocrate new yorkais qui rêve de devenir écrivain. Ondine est née à Apex, petite ville industrielle de Caroline du Nord et, jeune fille, a accompagné ses parents à New York où elle conquiert un mari dans la haute société. Ralph ne gagne pas sa vie mais il est cultivé. Ondine n'a aucune culture mais elle est magnifique. La baguette magique est le mot clé de ce passage, il signale le basculement de l'intrigue dans ce premier des trois " beaux mariages ".

Le soleil de Juillet enfermait dans un anneau de feu le bosquet de houx d'une villa dans les collines près de Sienne...

Alors que Ralph Marvell était étendu là, surgissaient et flottaient à la surface de ses pensées des fragments d'anciennes émotions, de fugitifs bonheurs de pensée et de sensation. Les mots éclataient comme des oiseaux brillants dans la ramure au-dessus de lui , il n'avait qu'à agiter sa baguette magique pour les voir se poser sur lui... Il observait le dessin de leur vol jusqu'à ce que ses yeux souffrissent de l'excès de lumière ; il changea alors de position et regarda sa femme.

Ondine, tout près, était appuyée à un arbre noueux avec l'air légèrement contraint d'une personne peu habituée aux abandons bucoliques. Son magnifique dos ne pouvait s'habituer aux irrégularités du tronc de l'arbre et elle bougeait de temps à autre pour trouver une position plus confortable. Mais son expression était sereine, et Ralph, en la regardant à travers ses paupières somnolentes, trouvait que son visage n'avait jamais été aussi ravissant.

" Tu es fraiche comme une vague ", lui dit il en prenant la main qu'elle avait posée sur son genou. Elle le laissa faire et il approcha cette main de lui, la détaillant comme si elle avait été une porcelaine ou un ivoire précieux. La main était petite et douce, légère comme une plume, un nuage de main-non pas vive et excitante, non pas une main expressive mais une main à caresser et à couvrir de bagues. Les doigts étaient courts et effilés, avec une fossette à la base et des ongles doux comme des pétales de rose. Ralph les levait un à un comme un enfant qui joue avec les touches d'un piano mais ils n'avaient pas d'élasticité et ne rebondissaient presque pas mais juste assez pour montrer leurs plis.

Il retourna la main et suivit le cours des veines bleues du poignet jusqu'au bord de la paume au-dessous des doigts, il y avait là une chaude vallée où il déposa un baiser. Le monde supérieur avait disparu: son univers se rétrécissait à la paume d'une main. Mais il n'y avait aucun sens de diminution. Dans les profondeurs mystiques d'où sa passion jaillissait, les dimensions terrestres étaient ignorées et la courbe de beauté avait si peu de limites qu'elle contenait tout ce que l'imagination pouvait y verser. Ralph ne s'était jamais senti aussi convaincu de sa capacité à écrire un grand poème mais maintenant, c'était Ondine qui tenait la baguette magique de son expression.

Bruno Autin

Café littéraire de Valréas

30 septembre 2021


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois