L’érotisme subtil chez Edith Wharton (3)

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Titre français : Le temps de l'innocence

Le roman qui a connu un grand succès lors de sa parution (Prix Pulitzer 1921) eut un rebondissement magnifique 63 ans plus tard avec le film de Martin Scorcese et ses interprètes : Michelle Pfeiffer (Ellen), Winona Ryder (May) et Daniel Day-Lewis (Newland) dans les rôles principaux. Le film remportera l'année suivante Oscars et Golden Globes. Le roman a acquis l'intemporalité.

Le choix de " temps " comme traduction de " age " balaie l'histoire du début à la fin puisque le thème est celui d'une passion inaccomplie. Il opte pour la durée mais Edith Wharton a écrit " Age " qui a une connotation plus ponctuelle. L'âge de l'innocence , c'est celui de l'enfance ou plutôt de la pré-adolescence, la dizaine d'années, comme il apparait dans les pages qui vont suivre.

Il était généralement admis à New York que la Comtesse Olenska n' avait plus la même allure.

Elle était apparue au jeune Newland Archer comme une brillante et délicieuse petite fille de neuf ou dix ans dont on disait qu'il faudrait " faire son portrait ". Ses parents avaient été des aventuriers et, après une petite enfance baladeuse, elle les avait perdus tous les deux et avait été confiée à sa tante, Medora Manson, une autre aventurière, qui revenait à New York pour s'y " poser ".

Tout le monde était disposé à traiter avec sympathie la jeune Ellen Mingott même si ses joues bronzées et ses boucles serrées lui donnaient un air de gaité inapproprié chez une enfant qui aurait encore dû porter le deuil de ses parents. C'était une des nombreuses négligences de Medora que de mépriser les inaltérables règles du deuil américain, et quand elle avait débarqué du bateau, sa famille avait été scandalisée de voir que le voile de crêpe qu'elle portait pour le deuil de son frère était quinze centimètres plus court que celui de sa belle sœur et que la petite Ellen portait une veste en merinos cramoisi et un collier de perles d'ambre comme une petite bohémienne.

...

Quand les messieurs rejoignirent les dames après le dîner, le Duc se précipita vers la comtesse Olenska, ils s'assirent dans un coin et se lancèrent dans une conversation animée alors que le Duc aurait dû d'abord présenter ses hommages à Mrs Lowell Mingott et à Mrs Headly Hivers et que la Comtesse aurait dû s'entretenir avec l'aimable hypocondriaque, Mr Urban Dagonet de Washington Square qui, pour avoir le plaisir de la rencontrer, avait fait exception à la règle qu'il s'était fixée de ne pas accepter d'invitation entre janvier et avril. Tous deux bavardaient depuis une vingtaine de minutes lorsque la Comtesse se leva, traversa le grand salon et vint s'asseoir auprès de Newland Archer.

Ce n'était pas la coutume dans un salon New Yorkais qu'une dame se levât et quittât un gentleman pour rechercher la compagnie d'un autre. L'étiquette exigeait qu'elle attendît, immobile comme une idole, que les hommes qui souhaitaient sa conversation se succédassent à ses côtés. Mais la Comtesse n'était apparemment pas consciente d'avoir violé une règle; elle s'assit parfaitement à l'aise dans un coin du canapé à côté d'Archer et lui réserva le regard le plus charmant.

" Je voudrais que vous me parliez de May " lui dit elle.

Au lieu de lui répondre, il lui demanda: " Vous connaissiez déjà le duc ? "

" Oh, oui- nous avions l'habitude de le voir chaque hiver à Nice. Il adorait jouer. Il est venu souvent à la maison, dit-elle sur le ton le plus naturel comme si elle avait dit: " il adorait les fleurs sauvages ", Après un moment, elle ajouta le plus simplement du monde: " Je pense que c'est l'homme le plus ennuyeux que j'aie jamais rencontré".

Cela plut tant à son compagnon qu'il en oublia le léger choc que lui avait causé la remarque de la comtesse. Il était indéniablement passionnant de rencontrer une dame qui trouvait le Duc des van der Luyden ennuyeux et osait le dire. Il s'attarda à lui poser des questions pour apprendre davantage de sa vie dont ses premières paroles lui avaient donné une idée si lumineuse; mais il n'osa pas aborder les sujets cruels et avant qu'il ait pu trouver un nouveau sujet de conversation elle était revenue à sa question initiale.

" May est charmante; je n'ai vu à New York aucune jeune fille aussi ravissante et intelligente. Etes- vous vraiment amoureux d'elle? "

Newland Archer rougit et éclata de rire: " Autant qu'un homme puisse l'être. "

Elle continua de le regarder pensivement pour ne manquer aucun détail de ce qu'il disait:

" Alors, pensez-vous qu'il y ait une limite? "

" A être amoureux? S'il y en a une, je ne l'ai pas encore trouvée. "

Elle rayonna de sympathie "Ah, c'est alors une vraie romance! "

" La plus romantique des romances !"

" Merveilleux! Et vous l'avez trouvée tout seul- sans qu'il y ait le moindre arrangement? "

Archer la regarda, étonné. " Avez-vous oublié-, demanda-t-il avec un sourire, que dans notre pays nous ne permettons pas que les mariages soient arrangés à notre place. " Un fard colora les joues de la comtesse et il regretta aussitôt ses paroles.

" Oui, répondit-elle, j'avais oublié. Vous devez me pardonner s'il m'arrive de commettre ce genre de fautes. Il m'arrive d'oublier que tout ici est bon qui était - qui était mauvais là d'où je viens. "

Elle baissa les yeux sur les plumes d'aigle de son éventail viennois et il vit que ses lèvres tremblaient.

" Je suis confus, dit il soudain, mais vous êtes entre amis ici, vous savez. "

" Oui, je sais. Partout où je vais, je le remarque. C'est pourquoi je suis rentrée chez moi. Je veux oublier tout le reste pour devenir à nouveau une vraie américaine comme les Mingotts et les Wellands, comme vous et votre charmante mère et toutes les bonnes personnes que j'ai vues ici ce soir. Ah, voici May et vous allez me quitter pour vous précipiter vers elle ", ajouta-t-elle.

Toutefois elle ne bougea pas et son regard se détourna de la porte pour se poser sur le visage du jeune homme.

Les salons commençaient à se remplir des invités qui n'avaient pas participé au dîner. Suivant le regard de Madame Olenska, Newland vit entrer May et sa mère. Dans sa robe blanc et argent, avec sa couronne de fleurs d'argent dans les cheveux, la grande fille ressemblait à une Diane de retour de la chasse.

" Oh, dit Archer, que de rivaux ! Voyez comme elle est entourée. Le duc lui est présenté. "

" Alors, restez plus longtemps avec moi ", lui dit Madame Olenska sur le ton de la confidence et lui touchant le genou avec les plumes de son éventail.

Ce n'était qu'un affleurement mais une caresse ne l'eut fait davantage frissonner.

Bruno Autin

Café littéraire de Valréas

30 septembre 2021


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois