La fille qu’on appelle, Tanguy Viel

La fille qu’on appelle, Tanguy Viel

La fille qu'on appelle, Tanguy Viel, Les éditions de Minuit, 2021, 173 pages

" Mais emprise, elle a dit, ce n'est pas un délit, n'est-ce pas ? "

Je ne savais pas du tout de quoi parlait ce roman avant de l'ouvrir. Quel ne fut pas mon plaisir de retrouver immédiatement cette plume tant aimée. Ces longues phrases enveloppantes qui nous emmènent au cœur des pensées des personnages, qui détaillent chaque action pour nous la rendre si proche qu'on a l'impression qu'elle se déroule sous nos yeux de spectateur ébahi.

Cette écriture est tellement cinématographique que les images déferlent dans notre esprit avec netteté et nous submergent de telle manière que nous avons peine à fermer le livre. Et pourtant, j'ai aimé le lire lentement, peu à peu, pour ne pas quitter trop vite ces mots parfaits, ces mots justes, ces mots qui frappent et qui distillent en nous de la colère, de la révolte, du désarroi. Ces mots qui nous font acquiescer sans cesse, " bah oui, c'est ça, c'est exactement ça, l'image ne pouvait être autre. "

J'ai apprécié cette découverte à l'aveugle, j'ai aimé comprendre le titre à la lecture du texte.

Ce texte n'est pas optimiste, il est le constat amer qu'une fois de plus les gens de pouvoir peuvent tout, et surtout peuvent détruire des vies, sans vergogne et en toute impunité. C'est la réalité pure et crue. La triste réalité. Celle d'une jeune femme qui va subir les avances d'un homme politique contre un éventuel logement et un travail. Le texte est remarquablement construit autour de sa déposition devant des policiers pas toujours compréhensifs, et l'on va plonger dans les affres de sa culpabilité, dans ses réflexions, dans son enfermement...

C'est un texte fort qui remue les tripes.

" En tout cas ce sont des choses qu'il aurait pu lui dire, mot pour mot - et parce que peut-être aussi, rien ne le remplissait plus que cette sensation de condescendre à la vie normale, si la vie normale à ses yeux c'était la masse indifférenciée des gens, c'est-à-dire ceux qu'il appelait lui-même " les gens ", que depuis son élection c'était son rôle de connaître " les gens ", de les aimer, de se faire croire qu'il les aimait, à moins que, oui, c'était possible aussi, il ne s'aimât lui-même en train de les aimer. "

" Non, rien du tout, a-t-elle dit encore aux policiers, dans un monde normal on n'aurait jamais dû se rencontrer.
Un monde normal... mais qu'est-ce que vous appelez un monde normal ? ils ont demandé.
Je ne sais pas... Un monde où chacun reste à sa place. "

" Regarder l'horizon pour se souvenir qu'il y en avait un, quand il lui semblait qu'aucune clarté ne suffisait à l'élargir - oui, c'est ce que ça lui fait après, dès qu'elle est sortie en fait, a descendu les escaliers en courant pour chercher l'air du dehors, et se mettant à marcher, marcher beaucoup dans la ville et puis sur les rochers et puis elle s'est posée là, sur la grande plage, comme une baleine échouée que l'eau bientôt recouvrirait, et alors espérant qu'elle puisse un jour reprendre le large, que les flots bientôt porteraient son âme sonore et qu'à nouveau elle courrait parmi les mers du globe. "


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois