Love Story en 2038

Love Story en 2038

Asphalt Blues (Jaouen Salaün – Editions Les Humanoïdes Associés)

Nina attend Mickael dans leur superbe villa. La jeune femme est au bord de la piscine, une cigarette à la main. Comme le soir tombe et que son compagnon n’arrive toujours pas, elle décide de l’appeler. « Mick, dis-moi que tu es sur le point d’arriver? », supplie-t-elle, tout en se doutant déjà de la réponse. Il faut dire que Mickael Meyer n’est pas vraiment du genre fiable, même s’il est beau comme un Dieu avec ses faux airs de Robert Redford. Lui-même se définit comme une personne qui, aussi loin qu’il s’en souvienne, n’a jamais su choisir. Depuis le jour où un juge pour enfants a décidé de le placer en famille d’accueil, il se laisse porter par la vie. Sa philosophie est simple: « la vie décide pour moi ». Sauf que Nina, elle, n’en peut plus des désirs de liberté de Mick et surtout de ses excuses et ses infidélités. Elle aimerait bien qu’il fasse un choix pour une fois dans sa vie et qu’il décide enfin de s’investir pleinement dans leur relation. « Pourquoi tu gâches toujours tout? », lui demande-t-elle. Quand il entend le désarroi dans la voix de Nina, Mick sent que cette fois, il a été trop loin. Il promet de la rejoindre le lendemain matin et d’arriver avec des croissants. Sauf que pour pouvoir tenir cette promesse, il est obligé de rouler à tombeau ouvert pendant toute la nuit, en manquant de peu de se tuer sur la route. Quand il arrive enfin à la maison, il est trop tard. Mick et Nina font l’amour une dernière fois, mais elle lui annonce peu après qu’elle ne l’aime plus… Treize ans plus tard, en 2038, chacun a refait sa vie de son côté. Mais ni l’un ni l’autre n’a trouvé le bonheur. Nina est devenue une créatrice de mode reconnue. Elle vit dans un appartement ultra-luxueux avec son nouveau compagnon, un cadre haut placé dans une puissante multinationale, mais elle n’est pas vraiment heureuse car celui-ci est d’une jalousie maladive. De son côté, Mick semble avoir eu plus de chance puisqu’il est marié et père de famille. Mais là aussi, la réalité est bien moins rose. Le bonheur de Mick n’est qu’une façade puisqu’il doit composer avec la dépression de son épouse, qui vient une nouvelle fois de tenter de mettre fin à ses jours. C’est en tout cas ce qu’affirme sa mutuelle, selon laquelle l’accident de voiture dont elle a été victime était forcément intentionnel, étant donné que le pilotage automatique de son véhicule est considéré comme infaillible. Pour Nina comme pour Mick, des temps difficiles s’annoncent…

Love Story en 2038

« Asphalt Blues » est à coup sûr l’une des plus grosses claques de cette année. Bien sûr, le scénario à lui seul vaut le détour puisque cette BD raconte de manière habile le désenchantement amoureux d’un homme et d’une femme qui conservent une forme de connexion même après leur séparation. L’auteur ajoute à cette trame de base une intrigue écologique, politique et financière liée à une usine hydroélectrique très polluante. Un thème qui, forcément, résonne à nos oreilles en cette période de COP26 et des débats autour du réchauffement climatique et de la transition énergétique. Mais cela étant dit, il faut être honnête: ce qui frappe surtout dans cet album, ce sont les dessins et les couleurs, qui sont véritablement envoûtants. Au-delà de l’histoire, « Asphalt Blues » dégage avant tout une ambiance graphique unique, à mi-chemin entre un film de Denis Villeneuve et certaines peintures colorées de David Hockney (en particulier, évidemment, dans les scènes de piscine de l’album, qui sont d’une beauté à couper le souffle). Ayant fait ses armes dans le dessin publicitaire et dans la BD de science-fiction, l’auteur français Jaouen Salaün révèle ici une toute nouvelle facette de son talent. En optant pour un univers plus proche du nôtre, il a vu juste, car il fait preuve d’un don évident pour les cadrages, les lumières, les couleurs, les séquences qui s’enchaînent avec une grande fluidité. Bref, vous l’aurez compris: « Asphalt Blues » a un lien évident avec l’univers du cinéma et des séries. On imagine d’ailleurs très bien cette histoire devenir un jour un épisode de la série « Black Mirror ». Pourquoi cette comparaison? Notamment parce que Jaouen Salaün s’amuse à insérer quelques éléments futuristes dans ses planches, ce qui rend son univers d’autant plus crédible sans pour autant prendre toute la place. Dans « Asphalt Blues », il est question de voitures au pilotage automatique, de caissières robots, mais aussi de remplacement de membres du corps humain par des membres augmentés, par exemple. Tous des détails qui s’insèrent de façon harmonieuse dans le récit et qui soulèvent des questions sur le futur un peu angoissant qui nous attend, tout en montrant que même dans ce monde futuriste, ce sont les relations humaines qui continueront à primer. Le scénario de « Asphalt Blues » tient donc parfaitement la route, même si on retiendra avant tout que cette BD graphiquement bluffante a révélé au grand jour un nom qu’il faudra désormais suivre de très près dans le monde du Neuvième Art, celui de Jaouen Salaün.


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois