Floride · Lauren Groff

Floride · Lauren Groff
Je m’en confesse: Les furies, le dernier roman de Lauren Groff, largement encensé par la blogosphère, m’avait plutôt ennuyée, voire exaspérée. Je n’ai pas lancé la serviette pour autant! À la parution de Floride, j’étais curieuse de savoir comment la jeune américaine se débrouillait côté nouvelles. J’avoue, qu’à mon goût, elle s’en sort plutôt très bien.Floride · Lauren GroffL’incipit de «Espaces vides et fantômes», la première nouvelle, m’a immédiatement mis en appétit.Je ne sais pas comment j’ai pu devenir une femme qui hurle, et puisque je ne veux pas être une femme qui hurle, dont les enfants vont et viennent le visage fermé, aux aguets, j’ai pris l’habitude après le dîner d’enfiler mes baskets pour sortir marcher dans les rues au crépuscule, laissant à mon mari la responsabilité de passer les garçons sous le jet, les mettre en pyjama, leur lire une histoire, leur chanter une chanson et les border dans leur lit, parce que mon mari, lui, n’est pas un homme qui hurle.

Floride

rassemble onze nouvelles. Il n’y a pas, à proprement parler, de lien entre elles, sinon que dans chacune, les catastrophes naturelles ébranlent des vies ou sont sur le point de le faire. Un mot m’est venu à l’esprit en tournant la dernière page de Floride. Congé. 

Il y a, d’une part, les nouvelles où on prend congé des personnages, comme les deux jeunes sœurs de «Et le chien devient loup», abandonnées dans une cabane de pêche sur une île déserte, ou encore le jeune garçon abandonné par sa mère dans «Histoire de serpents».

Il y a, d’autre part, les nouvelles où les personnages veulent prendre congé de leur vie, telle cette femme qui hurle, dans «Espaces vides et fantômes». Telle cette mère, dans «Abysse», qui se retrouve avec ses deux fils dans un cabane de chasse à 30 kilomètres au cœur de la forêt. Telle encore cettefemme «engluée dans les années visqueuses de la fin de la trentaine» qui vit avec sa mère trop malade pour vivre seule et qui prend un mois de vacances chaque année afin de décrocher et d’assouvir son appétit pour les hommes. Telle, enfin, cette jeune étudiante, dans «Au-dessus et au-dessous», qui devient sans abri (une nouvelle bouleversante, ma préférée du recueil).Un poids pèse sur ces personnages, quelque chose les étrangle à petit feu. Les couples se délitent. Le rôle de mère et d’épouse étouffe. Malgré la menace constante des cyclones, malgré l’omniprésence des nids de serpents, c’est dans le tréfonds de l’âme humaine que sont tapies les plus grandes sources d’angoisse. Avec un style dépouillé, sans fioritures, Lauren Grofffait résonner les mots et les tourments de ses personnages. Qu’il s’agisse d’hommes, de femmes ou d’enfants, elle sait leur donner une voix propre et juste. Elle épingle les angoisses diffuses, les tourments de l’âme et les dérives existentielles avec une grande finesse.Lauren Groff met à nu une Amérique dépouillée de ses illusions, une Amérique où l’ordre et l’harmonie tendent à se fissurer. L’imminence de la catastrophe plane toujours sur les événements les plus anecdotiques du quotidien, créant une tension palpable. Quand ce ne sont pas les personnages eux-mêmes qui subissent les assauts de la vie ou de lenvironnement, c’est une loutre qui dévore un bébé cygne, un serpent qui se fait déchiqueter par un climatiseur ou un chien qui survit à un accident de la route.J’ai retrouvé, chez Lauren Groff, le même malaise diffus, l’inconfort que je ressens en lisant Laura Kasischke et Joyce Carol Oates. En un mot, je suis conquise!

Floride,

Lauren Groff, trad. Carine Chichereau, Éditions de l’Olivier, 304 pages, 2019.


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