Les filles de Salem – Comment nous avons condamné nos enfants

Chronique « LES FILLES DE SALEM – COMMENT NOUS AVONS CONDAMNÉS NOS ENFANTS »

Scénario & dessin de THOMAS GILBERT

Public conseillé : Ado / Adultes

Style : Récit historique
Paru le 21 septembre 2018 aux éditions Dargaud, Collection “Autre regard”
200 pages couleurs,
22 euros

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Ca commence comme ça…


Abigail est une petite fille naïve qui vit des jours heureux à Salem village. Sa vie va basculer lorsque son meilleur ami Peter lui offre un petit âne en bois qu’il a confectionné. Le fait qu’elle accepte le présent va alors faire d’elle une dépravée aux yeux des villageois. Ce n’est pourtant que le début du cauchemar qui attend la fillette…

Ce que j’en pense


Lorsque l’on lit beaucoup de bande dessinée comme moi il y a forcément de tout, du très moyen, voire mauvais à l’excellent. Parfois, il arrive même de tomber par hasard sur de petites pépites. Des albums qui nous plongent hors du temps et de l’espace pour nous immerger complètement dans leur histoire. “Les filles de Salem” est assurément l’un d’eux. Pourtant l’histoire “d’amour” entre cet album et moi était mal engagée. En effet, lorsque l’on m’a proposé ce titre, j’étais assez sceptique n’étant pas fan des histoires de sorcières. Je trouve (en général) que “les ficelles” utilisées pour ce genre de récit sont vraiment usées jusqu’à la corde. Même la série des “Harry Potter” à le don de me filer de l’urticaire, c’est vous dire… Pourtant, je me suis laissé séduire par la première de couverture au charme désuet des “filles de Salem”. Un choix que je ne regrette en rien.

Thomas Gilbert a su me cueillir dès les premières pages, en créant une ambiance unique. Ce qui m’a plu ici, c’est le fait que l’auteur ait choisi de nous narrer une histoire de chasse aux sorcières plutôt que de sorcières. “C’est peut-être un détail pour vous mais pour moi ça veut dire beaucoup”, comme dit la chanson. Le tristement célèbre procès de Salem est vu de façon romancée, tout en gardant le côté malsain de cette sombre affaire. Cela donne un rendu troublant entre cauchemar et réalité.

Thomas Gilbert nous montre comment naissent paranoïa et haine de son prochain. Il démontre comment une religion, alors toute puissante, a pu mener des innocentes à la pendaison. Pour illustrer son propos de façon plus pertinente, le scénariste fait monter la violence crescendo. D’abord avec le massacre d’un simple chien dont le seul tort était d’être vagabond, puis vient le tour des premiers humains jugés dérangeants pour la tranquillité du village. Le récit s’emballe alors jusqu’à la sentence que l’on connaît. Pourtant ces scènes d’horreur sont entrecoupées de moments de grâce, notamment avec les apparitions de l’homme au visage noir. Ce rythme en dents de scie apporte encore plus de réalisme au récit.

L’autre force de cet album réside dans ses personnages. Que se soit Abigail, dont la force de caractère va croissante tout au long de l’album, le révérend Parris, un homme de foi abject, prêt à tout pour dissimuler un lourd secret ou les villageois pas toujours très fins, tous sont travaillés avec minutie.

Enfin, l’artiste nous achève par des dessins tout aussi travaillés Il mélange le charme des illustrations d’antan à la dureté de son propos.. Certaines scènes m’ont même fait penser aux toiles torturées du regretté Mano Solo. Portant il m’a fallu un petit temps d’adaptation pour réellement apprécier le travail de Thomas Gilbert, tant son univers graphique lui est personnel. Une fois la barrière franchie, je me suis volontiers laissé embarquer. En effet, le dessinateur sait parfaitement adapter son trait à la situation, les dessins réalistes décrivant les scènes de tranche de vie lassant place à des graphismes beaucoup plus torturés lors des passages “fantasmés” par les villageois.

Vous l’aurez compris, je ne saurais que trop vous conseiller la lecture de cet album qui se doit de trôner dans une bédéthèque digne de ce nom. Un récit qui, plus que de relater des faits historiques, est un véritable plaidoyer à la tolérance. En effet, si de nos jours les chasses aux sorcières ne se pratiquent plus, il reste encore de nombreuses personnes persécutées à travers le monde. Parce qu’ils sont gays, pour leur religion et même parfois simplement parce qu’ils sont roux ces gens vivent un enfer au quotidien. L’auteur nous invite même à cultiver nos différences au travers de sa dédicace en début d’album : “Ce livre est dédié à toutes les sorcières d’aujourd’hui et de demain. Que le feu jamais s’éteigne !”

Merci Monsieur Gilbert pour cette belle leçon de vie.


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