Cinq branches de coton noir

Chronique “CINQ BRANCHES DE COTON NOIR »

Scénario de YVES SENTE
Dessin de STEEVE CUZOR

Genre : Guerre
Public conseillé : Ado / adultes
Paru le 26 janvier 2018 aux éditions DUPUIS, Collection « AIRE LIBRE »,
24 euros

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Ça commence comme ça…

Mai 44, dans une base alliée, au nord de Douvres. Tom, Lincoln et Paul, trois soldats noirs américains sont cantonnés à surveiller de faux chars gonflables, à l’intention de l’aviation allemande. Après avoir mollement tirés sur les avions ennemis, les hommes se morfondent. Pourquoi n’auraient-ils pas, eux aussi, le droit d’en découdre comme les autres soldats ?
A fleur de peaux, les hommes déclenchent une bagarre contre un sous-off blanc et raciste. Ils ne doivent leur salut qu’à l’intervention du lieutenant, mais dans la foulée, font une demande pour être envoyés sur le front.
20 juin 44, Caroline du nord. Miss Johanna Bolton, la soeur de Lincoln hérite de la maison qui appartenait à sa défunte tante. Dans une vielle malle, rare objet qu’elle souhaite conserver, elle découvre le “Diary book” d’Angela Brown, datée de 1777…

Ce que j’en pense

La magnifique collection “Aire Libre” des éditions Dupuis (qui donne la parole à de grands auteurs), propose un pavé impressionnant. Au Scénario, Yves Sente (Les “Blake et Mortimer” avec Juillard, les derniers “Thorgal”, “La vengeance du comte Skarbeck”…) nous offre une oeuvre intimiste et personnelle, qui se déroule dans deux époques historiques.

Amoureux de l’Amérique (et de ses bons côtés !), il met en scène un récit de guerre où les noirs ne trouvent pas leur place, de l’Amérique jusqu’en Europe. En 1776, tandis que le nord et le sud s’affrontent dans une guerre fratricide, les noirs, récemment “libérés” sont toujours exclus. Betsy, une femme militante, consciente de ces inégalités, fabrique les premiers drapeaux des états-unis d’Amérique à la demande de Georges Washington. Pour symboliser la partie cachée de l’Amérique, elle coût sous la première étoile blanche du drapeaux une petite étoile noire… Ce symbole, perdu lors des premières batailles, est l’objet d’une quête à la fin de la seconde guerre mondiale. Un commando de “Monument Men”, exceptionnellement composé de soldats noirs, est chargé de retrouver cette “oeuvre d’art”

Le récit de Sente est vraiment touchant. Cette histoire, j’ai eu envie d’y croire jusqu’au bout, et même après l’avoir refermé, je me suis interrogé sur sa “réalité”
Vous vous dites, c’est un récit de guerre et ce n’est pas pour moi ? Que neni, “Cinq branches de coton noir” parle avant tout de la bravoure d’une femme (la couturière de l’étoile noire). Ensuite, il y a la symbolique forte que cet étoile représente. Le sort des noirs américains dans leur pays et le droit à l’égalité, fut-il de mourir pour leur patrie quelque part sur une plage en normandie…
Bien sur, il y a des passages guerriers, des actions (plus ou moins héroïques) et un drame présent jusqu’à la fin, condition humaine oblige… Mais qu’importe. Si vous n’êtes pas touché(e)s par ce récit intense et empathique, je mange mon chapeau !

 

Au dessin, Steeve Cuzor m’a littéralement scotché. Bon, je dois avouer que j’étais tombé amoureux de son travail sur le noir et blanc de sa précédente série (“O’boys”). J’étais très impatient de voir ce travail titanesque qui lui a pris deux années de sa vie.
Le résultat est au niveau, et mieux encore… Pourtant , ce n’était pas évident ! La collection “Aire Libre” est plus habituée à recevoir des grands dessinateurs qui s’expriment en couleur directe (Gibrat, Lepage…) et des dessinateurs au trait nerveux et moderne. Steeve, lui son truc, c’est le beau dessin classique, qui tire ses lettres de noblesse des dessinateurs américains des années 40-50 (comme Milton Caniff, pour ne citer que lui).
Son noir et blanc réaliste est bourré de détails, précis jusqu’à devenir mono-maniaque. Il prend un malin plaisir à jouer avec les formes et contre-formes, les matières, les hachures, les aplats, le vide et le plein… Un ravissement pour mes yeux d’amateur.

Mais Steeve sait aussi dépasser celà. Pour les besoins du récit, il compose des cases moins figuratives, des silhouettes, des clair-obscurs qui mettent en valeur un regard, un détail…
Enfin, Steeve Cuzor est aussi un grand “réalisateur” de BD. Son écriture cinématographique accompagne ses pages. De grandes cases ou des plans plus serrées, tout est fluide et immersif. On sort “rincé” de cet album, comme si on avait vécu le drame de ses soldats noirs….

Alors, vous voulez en apprendre un peu plus sur l’âme humaine et vous laisser emporter par une belle fable ? “Cinq branches de coton noir” est définitivement l’album qu’il vous faut !


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois