[Ecriture] Psychopompe – Chapitre Deux

Je venais de vivre une des pires journées de ma vie. Ces tests avaient épuisé tout le self contrôle si durement gagné par des années d’entraînements physiques et je n’avais même pas encore passé mes entretiens personnels. Je n’avais pas besoin de faire preuve d’une grande imagination pour en connaître le résultat : « votre niveau de magie élémentaire est insuffisant, vos connaissances manquent de justesses : vous aurez donc des cours de rattrapages » ! La quantité de travail qui m’attendait me donnait déjà envie de pleurer.

Malgré mes révisions acharnées durant tout l’été — ces tests ayant été l’occasion rêvée pour moi de tenter d’oublier la mélancolie dans laquelle m’avait plongée la mort de mon grand-père—, je n’étais pas certaine d’avoir réussi. La dernière année de secondaire était marquée par les examens sur Prior, j’avais été heureuse de retrouver ma routine de révision, apprentissage, fiches, révisions, fiches de nouveau, cela avait quelque chose de rassurant, mais face aux  questions retorses et précises, aux milliers d’années d’histoire et de personnages importants des Sept Mondes, l’exercice s’était révélé bien plus périlleux que ce que je ne l’avais escompté.

Les tests physiques m’avaient demandé bien moins d’effort. J’avais eu le choix entre, un combat à mains nues, un à l’arme légère ou à l’arme lourde. Mon choix s’était porté sur une arme légère qui ressemblait à s’y méprendre à ma lame d’entrainement, fine, souple et légère. Le combat avait été brutal et rapide, j’avais touché mon adversaire à plusieurs reprises, usant de toute l’agilité et la ruse qui étaient miennes. Ensuite, l’on m’avait prié de traverser plusieurs parcours du combattant pour lesquels j’avais été chronométrée et évaluée par plusieurs professeurs.

Quant à la magie, chère Némésis à mon coeur, cela m’avait évidemment porté préjudice. J’avais été pratiquement incapable de me servir de ma magie des Eaux, autre que pour arroser le jury d’un jet intempestif après qu’elle ait échappé à mon contrôle. A contrario, mon contrôle spiritique était parfait et même sans mon cristal (pierre essentielle à notre fonction, nous permettant, non seulement de garder notre pouvoir sous contrôle, mais nous avertissant aussi de la présence d’une âme à faucher), j’avais été capable d’exorciser un poltergeist avec une facilité déconcertante. Voilà toute la difficulté d’être née avec un double pouvoir et d’avoir vécu sur Prior, j’étais la risée du monde magique. Ici, si l’on n’était pas élémental, nous n’étions pas considérés comme des mages à part entière. Seule la magie des Quatre Royaumes avec de la valeur.

Mon cristal se trouvait en sécurité, enfermé dans une boîte hermétique sous mon matelas. D’un commun accord avec mon père et mon frère, nous étions arrivés à la conclusion que ce n’était pas à moi de me charger des âmes à faucher lors de mon passage à l’école. J’avais donc l’autorisation de m’en séparer afin de me concentrer sur mes études. Plus d’une mission, c’était un véritable sacerdoce, dont j’avais pris la pleine mesure durant mon adolescence lorsque mon grand-père avait décrété qu’il était temps de me former. À cette époque-là, même si sa jeunesse lui faisait déjà défaut, il s’était amusé, dans un premier temps à m’expliquer ce qu’était la Mort et quel était notre rôle, puis, il m’avait demandé de l’accompagner à chacun de ses fauchages, rapidement, j’avais agi en son nom.

Chacun d’entre nous choisissait le type de divinité psychopompe qu’il souhaitait être : faucheur, guerrier, messager, protecteur, juge, bourreau. Le choix nous revenait pleinement. Ainsi, pour sauvegarder notre pouvoir, les hommes du clan se mariaient tous avec des médiums, des voyants ou des chamanes. Oui, les hommes, parce qu’aucune femme n’était née chez les Kincaid depuis près de deux mille ans, j’étais la première. Etre une femme m’imposait presque le rôle de Valkyrie, célèbre guerrière en armure de la mythologie nordique, chevauchant un cheval ailé, dirigeant les soldats sur le champ de bataille et décidant de leurs morts et récupérant l’âme des héros. Pour cela, il avait fallu que mon père choisisse de briser des siècles de traditions pour se marier avec la femme dont il était amoureux. Après cela, ils avaient fui le Royaume des Eaux et le déshonneur de la famille royale pour venir s’installer sur Prior, loin de tout, mais apparemment pas assez pour nous protéger.

Je décollai péniblement ma tête de l’oreiller sur lequel j’avais décidé d’épancher mes malheurs et avisai l’heure. Il me restait dix minutes pour me rendre dans le bureau de la directrice — parce que oui, c’était elle qui allait me faire passer mon entretien —, dix minutes pour trouver l’emplacement dudit bureau. J’avais donc intérêt à faire preuve, au moins une fois dans ma vie, d’un sens de l’orientation digne de ce nom, auquel cas, je serai en retard. Ce n’était pas le genre de rendez-vous où l’on pouvait se permettre d’être en retard. J’enfilai donc de nouveau mon uniforme, au choix d’un élégant pantalon noir taille haute surmonté d’une chemise blanche avec l’Insigne de Valandryss brodé dessus ou de sa version plus féminine, à savoir une jupe s’arrêtant légèrement au-dessus du genou. Le tout était complété par une veste cintrée noire et une paire de chaussures à talons à notre convenance.

L’apparence comptait beaucoup dans les hautes sphères, un mage étudiant à Valandryss se devait d’être élégant en toutes circonstances. J’optai pour le pantalon et ouvrit légèrement ma chemise de façon à dévoiler un peu de peau. Je ne supportais pas d’entre engoncer dans mes vêtements, j’avais l’impression d’étouffer. Je vérifiai le tout dans un miroir. Mes longs cheveux bruns étaient relevés dans une queue de cheval basse et travaillée, j’avais souligné le bleu d’outremer de mes yeux avec un peu de mascara et une touche de doré au centre de la paupière.

Plan en main, je parcourus les couloirs jusqu’au bureau sans trop me perdre. J’avais effectué un ou deux demi-tours d’usage, mais rien de bien méchant. J’arrivai même avec deux minutes d’avance et patientai dans un petit salon confortable où la secrétaire eut la gentillesse de m’apporter un thé chaud. Très rapidement, je fus rejoint par un autre élève, un jeune homme au physique agréable, quoi qu’encore un peu minet. Des cheveux foncés assez courts, des yeux tout aussi sombres et un sourire nonchalant qui devait avoir séduit plus d’une fille. Il avait cette étincelle de mauvais garçon dans le regard qui nous faisait à coup sûr craquer.

Armé de son sourire ravageur, il parcourra mon corps sans aucune honte d’un regard appréciateur. En revanche, je ne goûtais que peu d’être prise pour une marchandise, ce fut donc un visage passablement agacé qu’il eut tout loisir d’observer quand il daigna enfin lever la tête. Fort peu déstabilisé, voire même amusé de la situation, il s’installa dans un fauteuil en face du mien et me fixa sans mot dire pendant plusieurs longues secondes durant lesquelles je m’appliquai à ne pas baisser le regard. Une attitude qui dû lui plaire puisqu’il entama la conversation.

— Je ne pense pas t’avoir déjà vu, je m’appelle Roman, Roman Lane, mage des Feux, et toi ?

À ces mots, il s’inclina dans une réplique parfaitement exécutée du salut universel. J’attendis quelques instants lui rendre la pareille.

— Bria Kincaid.

Aucun besoin de lui dire dans quel type de mage ma famille excellait, il le savait déjà. Il haussa un sourcil instigateur.

— Un lien avec le nouveau prof ?
— Mon frère.
— Je vois…

Voilà généralement l’effet que je faisais aux mages que je rencontrais, mon nom jetait un froid. Sans mauvais jeu de mots.

— Tu n’es pas très loquace comme fille, en tout cas.
— Désolée, les relations sociales n’ont jamais été mon fort, je ne suis pas douée pour faire la conversation à un inconnu.
— Si ce n’est que ça, je peux m’en charger pour deux, répliqua-t-il avec un petit clin d’oeil complice. Qui te fait passer ton entretien ?
— La directrice. (Il parut surpris.) Pourquoi pas toi ?
— Non. Ma famille n’est pas suffisamment haut placée pour avoir cet honneur.

Un sourire sincère illumina son visage, cela ne semblait pas pour autant le déranger. J’imagine qu’avec une belle gueule comme la sienne, on pouvait percer dans les hautes sphères avec facilité.

— Ah… Pour être honnête, je ne suis pas pour autant habituée au service d’ordre. J’ai grandi loin de tout ça, c’est nouveau pour moi.

Ma propre réponse me surprit, ce n’était pas mon genre de déblatérer sur ma vie privée aussi facilement. Durant un instant, j’en vins même à me demander si ce Roman ne faisait pas partie de ces mages qui avaient la faculté de faire dire aux autres leurs pensées les plus sombres.

— Je suis sûr que tu vas t’y habituer rapidement, après tout, c’est un honneur d’accueillir des Gardiens au sein de l’école. La directrice doit se réjouir du prestige que ça lui apporte.
— Tu m’en diras tant…

La secrétaire réapparue m’incita à la suivre. C’était à mon tour.

— On se revoit bientôt, Bria.

Son entrain bien que suspect à mon goût était contagieux, et ne je pouvais pas me permettre de mettre à mal la seule relation sociale que j’avais réussi à tisser jusqu’à maintenant, alors j’acquiesçai et partis avec la petite femme souriante jusqu’au lieu de mon exécution.

Tout comme le petit salon d’attente, le bureau de la directrice était élégamment décoré. Des meubles de couleur clair, un canapé moelleux, un bureau parfaitement rangé et organisé, les lampes à impulsion magique brillaient un peu partout, baignant la pièce d’une agréable lueur. La directrice, toujours moulée dans son tailleur, frappait de ses doigts parfaitement manucurés le bois de son bureau en lisant les notes étalées devant elle.

J’avais rarement été intimidée par les mages que j’avais rencontré. Pour être parfaitement honnête, le peu de mages que j’avais croisé durant mon enfance étaient ceux qui osaient braver l’absence de magie de Prior afin de voir mon père ou mon grand-père. (De manière générale, un mage n’aimait pas être séparé de sa magie, même temporairement. Il se sentait diminué et faible. Sur Prior, un mage élémentaliste ou psy n’avait aucun pouvoir, seuls, les spiritiques comme ma famille et moi en étions dotés. Le contrôle des âmes n’était pas une histoire de magie, non, c’était bien plus profond et complexe que cela.)

Sa magie était omniprésente, puissante et se réfléchissait dans chacun des meubles ou des objets de la pièce. Même sans être hostile, une telle dose de pouvoir était impressionnante, cela créait une résonance qui me perturbait. J’avais dans l’idée que c’était le but de cette manoeuvre. Cela me décevait quelque peu, je ne pensais pas que même la directrice s’amusait aux jeux de pouvoirs. Elle avait beau s’occuper de jeunes avides de faire leurs preuves, je n’étais pas sûr que le défi qu’elle représentait n’était pas plus tentant que dissuadant.

Chez les Gardiens, la magie était passive, elle ne se manifestait pas aussi effrontément. J’oubliais souvent que nous faisons office d’exception dans le monde magique.

La directrice leva la tête vers moi et ses yeux verts étincelèrent derrière une élégante monture de lunette. Un sourire étira doucement ses lèvres. Il se voulait surement accueillant, mais je pouvais sentir d’ici les rouages calculateurs de son esprit entrer en branle afin de savoir comment profiter le plus possible de ma présence dans son établissement et d’en tirer un maximum d’avantages. La cupidité des mages était sans limite.

Elle me fit signe de m’asseoir et se replongea quelques instants dans ses notes.

— Eh bien, eh bien, on peut dire que ton arrivée ne laisse personne indifférent, Bria, déclara-t-elle, la voix toujours aussi douce. Ton frère aussi avait engendré ce genre de réaction, mais il faut dire qu’il sait y faire pour s’accorder les faveurs des gens qui l’entourent.

Je laissai échapper un petit rire. Oui, c’était le moins que l’on puisse dire, Thad était très doué pour cela. Mais je n’étais pas lui, et souffrir de la comparaison dès mon arrivée, paracheva ma descente en enfer.

— Très bien. Tes résultats sont tout aussi bons que contrariants. Tu as eu d’excellents résultats au test écrit, quant à l’examen physique, eh bien, tu as pour ainsi dire, les meilleurs notes de tous les premières années, garçons compris. Cela n’a rien d’étonnant, lorsque l’on sait ce que tu es. En revanche, comme tu t’en doutes, tes tests magiques sont alarmants. Je ne te parle pas de ta magie spiritique, de ce point de vue, il n’y a rien à redire. Malheureusement, tu as de très grosses lacunes en magie élémentale. Nous savons toutes deux qu’elle en est la cause, ce n’est pas la peine de revenir dessus. Mais, il va falloir remédier à cela, et le plus tôt sera le mieux.

J’hochai la tête, elle ne m’apprenait rien que je ne sache déjà.

Elle me tendit un papier sur lequel s’étalait mon emploi du temps et elle pointa du bout de l’ongle certaines des cases.

— Les cours de rattrapage sont obligatoires. Tu en auras six heures par semaine, tu iras aussi en approfondissement combat et spiritisme. Les cours sont du lundi au vendredi de 8 h à 18 h. En ce qui te concerne, tu auras aussi des cours le samedi de 10 h à 12 h et les lundis, mercredis et jeudis soirs de 18 h à 20 h. J’ai conscience que c’est un rythme assez astreignant, la première année est la plus difficile, elle vous enjoint à trouver votre spécialité. Ainsi, nous vous offrons un spectre larges de matières et de possibilités. Si tu travailles suffisamment dur et que les résultats suivent, ton volume horaire sera diminué au fur et à mesure de l’année.

J’osai un regard vers la feuille. J’avais, au minimum huit heures de cours par jour, sans les rattrapages et approfondissements, bien sûr. Histoire des Sept Mondes, des Grandes Familles et de la Magie, différents modules de pratiques de magie et de combat, de l’économie, droit, gestion, de l’herbologie et confection de remèdes, de la technique magique et investigations, des cours de bienséance et d’étiquette, études des langues et déchiffrage, de la science de la magie et de l’étude des rites et rituels, je ne savais pas si je devais rire ou pleurer d’une telle liste. J’étais épuisée avant même d’avoir commencé mes cours.

La directrice marqua une pause en affichant une moue contrariée, comme si elle réfléchissait à ses propos.

— Je voulais aussi te présenter mes plus sincères condoléances, Bria. Ton frère m’a prévenu que tu as été particulièrement touchée par son décès.

En voyant que mon regard se durcissait, elle enchaîna rapidement.

— Ne lui en veut pas ! Il s’inquiète pour toi, voilà tout. Si cela peut te rassurer, son meurtre ne restera pas impuni, plusieurs enquêteurs sont en charge de découvrir l’identité du coupable. Et dès que j’en saurais plus, je t’informerai des avancées de l’enquête. Tu es en sécurité ici, c’est tout ce qui compte.
— Pourquoi, vous craignez que je ne le sois pas ?

Elle pinça si fort les lèvres qu’il n’en resta plus qu’une mince ligne crispée. S’il s’avérait que j’avais raison depuis le début, un simple habitant de Prior n’aurait pu venir à bout de mon grand-père, ainsi c’était obligatoirement un mage ayant trouvé le moyen de conserver un peu de magie pour effectuer sa sale besogne, qui s’en était chargé. On ne s’attaque pas à un Gardien comme cela, je soupçonnait un tueur à gage. Ainsi trouver le meurtrier ne mènerait à rien, c’est le commanditaire qui m’intéressait.

— Disons qu’il vaut mieux prévenir que guérir, ne penses-tu pas ? Tuer un Gardien, d’autant plus lorsqu’il est aussi puissant que Loan Kincaid, n’est pas donné à tout le monde. Crois-moi, dans le cas où ce forcené ait décidé de réitérer son exploit, je préfère te savoir ici à étudier, tes parents sont d’accords avec moi sur ce point.
— Je n’en doute pas instant, du moment que je ne suis pas dans leurs pattes, tout va pour le mieux.

Elle n’ajouta rien, elle n’en avait pas besoin, ce silence contenait à lui seul bien plus de réponses que tous les discours du monde. Je décidai d’en rester là pour l’instant, j’avais promis à Thad de ne pas faire de vague et de ne pas chercher à retrouver l’auteur de cet acte immonde. Je tiendrai donc ma parole, j’étudierai dans cette école afin de trouver ma place dans ce monde et tenter de le rendre fier.

La discussion close, elle me fournit la liste des lectures obligatoires, des salles de classe, des professeurs et quelques devoirs supplémentaires. Il me restait donc un weekend pour rattraper mon retard, enfin faire la connaissance de ma colocataire et accepter que ma vie était désormais ici et que la technologie de Prior n’en fera jamais plus partie.

Je pris les papiers et quittai le bureau. Son indiscrétion n’avait réussi qu’à m’enliser un peu plus dans ma dépression. Étonnamment, j’avais beaucoup de mal à supporter ceux qui se mêlaient de choses qui ne les regardaient absolument pas, et mon deuil ne regardait indéniablement que moi. Si Thad se mettait à demander à tous les profs de me ménager, de quoi allais-je avoir l’air auprès des autres ?

*

J’appris à mes dépends que sortir de l’Institut était une épreuve de force en soi. Après avoir fait nouveau crochet par ma chambre, j’avais eu la surprise de constater que ma colocataire avait de tout évidence décidé de pointer le bout de son nez. J’en voulais pour preuve, le nombre de malles et de bibelots qui traînaient dans le salon, encore parfaitement rangé quelques heures plus tôt. Aucune trace d’êtres vivants pour autant. Elle devait très certainement passer ses tests ou ses entretiens.

Sans traîner, j’enfilai une tenue un peu plus décontractée et filai vers la sortie. Ce fut-là que je tombai sur un os, particulièrement épais. Le mage de garde n’était pas enclin à me laisser vaquer à mes occupations nocturnes. Persuadé que je tentais de fuir après des résultats désastreux, il tenta à plusieurs reprises de me repousser vers l’intérieur, ne tarissant pas d’éloges sur la « lâcheté des personnes comme moi ». Je dus faire appel à un trésor de patience afin de lui faire comprendre que je rejoignais simplement mon grand-frère en ville. Évoquer mon nom de famille eut l’air de le faire réfléchir, rappeler que je n’avais aucun endroit où aller, aucune ressource ou statut si je quittais l’Institut fini par le convaincre.

L’Institut ne fermait presque jamais ses portes, elle servait souvent de refuge aux personnes dans le besoin et aux mages guerriers en mission. Malgré cela, les élèves, bien que considérés comme adultes et par extension, responsables de leurs actions se devaient de respecter un minimum de règles. Ainsi, durant la semaine, le couvre-feu était établit à une heure du matin et les élèves étaient priés de s’y tenir. La plupart des cours demandait une certaine concentration et forme physique. Venir à ces cours affaiblit d’une quelconque manière : fatigue, maladie, gueule de bois, risquait d’être dangereux. Au sein de l’Institut, dans la froidure de sa chambre, chacun était cependant libre de faire ce que bon lui semblait.

Je m’engageai donc dans les rues de la capitale d’un pas décidé avant de me rendre compte d’un détail sensible. Je ne connaissais ni la ville, ni l’emplacement du bar, si ce n’était qu’il se trouvait en centre-ville. Sauf que, de mon point de vue, toutes les rues se ressemblaient.

J’avais mis les pieds à Irillium pour la première fois l’avant-veille et étrangement, je n’étais pas des plus enchantée par cette perspective. Nous avions logé dans l’une des auberges de la ville en attendant de pouvoir faire notre rentrée, et je m’étais moi-même enfermée dans ma morosité dans la chambre que je partageai avec Thad pendant que ce dernier partait rejoindre ses amis en ville.

La capitale tenait son nom de son architecture iridescente. Protégée par un bouclier énergétique reflétant la lumière des deux soleils et de leurs trois lunes, la ville était toujours baignée d’une lueur vive. Les pierres polies des bâtiments réfléchissaient la lumière en projetant des éclats de lumière opaline autour d’elle. De l’extérieur, Irillium ressemblait à un diamant géant protégé au cœur de la forêt sacrée d’Almor. Au fils des saisons, les arbres et les fleurs prenaient des couleurs différentes, rosées au printemps, jaunes en été, rouges en automne et bleutés en hiver, ces couleurs imprégnaient totalement les rues. En cette fin d’été, les couleurs viraient progressivement au rouge, le cuivré dominait et m’éblouissait. Les Gardiens avaient la particularité de Voir sur les deux plans, celui de la vie et celui de la mort, nos yeux étaient donc fragiles aux lumières vives.

En ville, on reconnaissait les mages, des simples citoyens ou membres d’une grande famille à leurs tenus. Les guerriers étaient tous vêtus de leur uniforme près du corps, gravé sur la poitrine de leur sceau (montrant à quel type de magie l’on était maître), ainsi que leur troupe de rattachement, de leurs rangs et leurs galons. A leur ceinture, leurs armes étaient mises en évidence, afin que personne n’ai l’idiotie de leur marcher sur les pieds. Si les citoyens s’habillaient comme tout un chacun, les Grandes Familles elles, aimaient à se rappeler l’époque où leur statut avait une réelle importance dans l’organisation des Sept Mondes. Ainsi, ils continuaient à porter les tenues traditionnelles de leurs royaumes.

J’errai dans les faubourgs pendant une bonne dizaine de minutes avant de tomber sur la place qui m’avait été indiquée. Sous un immense déambulatoire couvert entouré d’une colonnade aux arcs architecturés, plusieurs restaurants et bars étaient ouverts et orientés vers un patio ouvragé. En son centre, une fontaine aux jets multicolores surmontée du symbole de la république : l’Oeil de l’esprit entouré des rayons solaires, trônait telle l’attraction principale du quartier. Autour, les fleurs de la république, toutes de couleurs sensiblement différentes et pourtant semblables, se paraient indiscutablement de pourpre à mesure que les minutes défilaient.

Je gagnais le centre de la place lorsque Thad m’interpela, il était attablé non loin de là avec plusieurs de ses amis dans lesquels je reconnus le nouveau prof de l’Institut, Kieran O’Callagan. J’étais donc bel et bien en train de faire copain-copain avec les profs le premier jour, une situation qui pourrait s’avérer gênante si d’aventure elle venait s’ébruiter…

Je me dirigeai donc vers eux, pris place dans le fauteuil libre près de Thad et saluai l’assemblée d’un léger signe de tête. Mon frère fit rapidement les présentations sans que je ne retienne aucun prénom et je commandai une bière aromatisée aux fleurs de cerisier. Les discussions allaient de bon train, passant de la situation politique de la République, aux actions armées contre les renégats de Freior en passant par les nouveaux cours prodigués à Valandryss. Certains déjà ivres, s’amusaient à détailler toutes les jeunes femmes passant à proximité. L’un d’eux râla de leur manque d’intérêt pour la gente masculine, alors je me joins à lui dans le même exercice. Je respirai pour la première fois depuis mon arrivée dans la capitale.

— J’ai entendu dire que tu avais fait un carton durant tes tests, Moustique.

L’attention se tourna vers moi et je me sentis rétrécir dans mon fauteuil. Etre au centre de l’attention avait généralement tendance à me mettre très mal à l’aise.

— La demoiselle est à Valandryss ? demanda l’un des jeunes hommes.

Doté d’un visage indéniablement masculin, une mâchoire carrée ombrée d’une légère barbe, un petit nez retroussé, des yeux bruns malicieux et une épaisse chevelure rousse portée mi-longue, le mage exsudait de confiance en lui.

— En effet, répondis-je avant de me tourner vers Thad. Carton est un bien grand mot, disons que le résultat était sans grande surprise. Pour me féliciter, la directrice m’a même collé six heures de cours de rattrapage en magie élémentale.

Thad grimaça et avisa Kieran d’une œillade torve.

— Ne me regarde pas comme ça, je ne m’occupe des rattrapages cette année ! Declan doit s’en charger. Cette vieille pie est implacable, bon courage.

Je laissai tombé ma tête sur la table, au comble du désespoir. Thad en profita pour m’ébouriffer les cheveux d’un geste affectueux.

— Achevez-moi tout de suite, je ne vais jamais réussir à tenir le rythme.
— Ne t’inquiète pas, Moustique, j’ai fait en sorte que tes cours d’approfondissement se passent avec moi, tu pourras souffler un peu. Mais ce n’est pas pour autant que je ne te ferais pas bosser, qu’on s’entende bien sur ce point.

Je souris, c’était bien son genre de tenter de me rassurer en faisant lui-même le sale boulot. Même s’il m’entraînait déjà depuis de nombreuses années, le faire dans cette école amenait l’exercice à un autre niveau.

— Tu as des cours d’approfondissement aussi ? me demanda Kieran sincèrement étonné.
— Deux heures de combat et deux autres de magie spiritique.

Le mage écarquilla les yeux de surprise, son regard s’attarda une instant sur moi comme s’il cherchait quelque chose de particulier sur mon visage. Je soutins son regard avant que Thad reprenne la parole.

— Tu connais Natalia, quand elle trouve un nouveau petit génie, elle ne le lâche pas avant d’en avoir fait une machine de guerre.

Kieran acquiesça d’un signe de tête entendu, avant de se plonger dans ses réflexions. Plus tard, plusieurs de leurs amis partirent et je restai seule avec M. Confiance-à-toute-épreuve lorsque les deux profs allèrent chercher une tournée supplémentaire. Il était presque une heure du matin, les bars se vidaient petit à petit, la ville était plongée dans la pénombre soulignée par la lueur enchanteresse des lunes de Lumiae. Un spectacle que j’aurais eu plaisir à regarder si je n’avais pas été obligée de tenir une conversation avec un mage dont l’état d’ébriété était passablement avancé.

— Un petit génie, alors ? C’est étrange, tu ne parais pas puissante vu comme ça.

J’aurais pu me vexer si je n’étais pas habituée à ce genre de discours. Puisqu’ils ne sentaient pas ma magie aussi facilement que pour chez les autres, les mages estimaient généralement que j’étais faible. Une erreur d’appréciation stupide qui pouvait leur coûter leur âme, entre autres choses.

Je me contentai donc d’un sourire de circonstance et d’une réponse évasive.

— On a tous nos petits secrets.

Je n’avais la moindre envie de perdre mon temps à expliquer le pourquoi du comment. S’il se servait un minimum de sa tête, il ferait rapidement le rapprochement avec son pote et son style de magie. Sinon, bien, c’était un idiot et il en valait d’autant moins la peine.

Il posa la main sur sa joue et planta ses yeux rendus vitreux par l’hydromel dans les miens. Je haussai un sourcil en retenant un sourire sarcastique. C’était partit pour un énième numéro.

— Tu peux tout me dire tu sais…
— Non, merci, sans façon.

Il eut un mouvement de recul comme si je l’avais frappé au visage. Deux solutions s’offrait à moi, soit il s’énervait et tentait de m’humilier, soit il s’en amusait et jouait le jeu avec moi.

— Je comprends, que pourrais-tu bien apprendre à un vieux de la vieille comme moi, de toute manière ?

Mon sourire s’étira, peut-être avait-il le sens de l’humour finalement.

— Oh, je suis persuadée que l’on peut apprendre des autres, peu importe notre âge. Ca te laisse encore un peu de marge.
— Quel caractère… Tu pourrais presque me plaire.
— J’en prends bonne note.
— Tian, j’espère que tu n’imagines pas mettre ma petite-sœur dans ton lit, hein ? Je pourrais te tuer pour bien moi de cela, j’espère que tu en as conscience ?

Thad s’assit à mes côtés, Kieran de l’autre, comme deux tours protégeant la reine. Le mage leva les mains dans un signe de reddition et s’empara de son verre.

— Ne jamais toucher aux petites sœurs, mon pote, répliquai le mage des Eaux en riant. C’est la règle d’or.
— Un conseil avisé que je vais m’empresser de suivre, répliqua Tian en m’adressant un petit clin d’oeil.

Thad entoura mes épaules de ses bras et déclencha l’hilarité générale.

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois