Paroles d’honneur - Leïla Slimani et Laetitia Coryn

" Toute ma vie j'ai vécu un combat intérieur entre la volonté de me libérer de la tyrannie du groupe et la crainte que cela n'entraîne l'effondrement des structures traditionnelles à partir desquelles je m'étais construite. "

Paroles d’honneur - Leïla Slimani et Laetitia Coryn

La " hchouma ". Cette injonction très utilisée dans la société marocaine renvoie à un code moral tacite. Son sens oscille entre la honte et la pudeur : " être bien élevé, être un bon citoyen, c'est aussi avoir honte ". Les femmes marocaines rencontrées par Leïla Slimani font souvent référence à la hchouma quand elles parlent de leur vie intime. Etre vierge ou épouse, il n'y a pas d'autres choix. La soumission plutôt que la transgression, il n'y a pas d'autre choix. En apparence du moins. Car peu à peu les lignes bougent. Certes doucement, mais le frémissement est là, indiscutable.

Paroles d’honneur - Leïla Slimani et Laetitia Coryn

Ces femmes, Leïla Slimani les a rencontrées au cours d'une tournée promotionnelle effectuée au Maroc après la publication de son premier roman " Dans le jardin de l'ogre ", où elle abordait sans tabou la question de l'addiction sexuelle. Face à l'écrivaine, la parole se libère. Les faits rapportés sont édifiants : IVG clandestine, reconstruction de l'hymen, adultère et homosexualité punis par la loi, impossibilité de rester célibataire sans être durement jugée, violeur pouvant échapper à la prison en épousant sa victime (ce tristement célèbre article 475 du code pénal a finalement été abrogé par les députés en 2014 après le suicide d'une adolescente de 15 ans ayant dû se marier avec celui qui l'avait agressée), etc.

Paroles d’honneur - Leïla Slimani et Laetitia CorynA travers les propos de ces femmes se dresse le portrait d'un pays oscillant entre hypocrisie et schizophrénie. Un pays qui élève la pudeur en vertu absolue mais est " le cinquième consommateur mondial de pornographie sur internet ". Une société patriarcale où suinte chez les hommes autant de frustration que de peur de voir éclore des femmes fortes qui assument leur sexualité et s'assument en dehors du groupe. Un pays d'où se dégage un terrible manque d'éducation sexuelle et où la religion est brandie comme un étendard pour mettre un terme à toute tentative de discussion : " Dès qu'on veut vous dominer on vous assène cette phrase : c'est le coran qui le dit ". C'est instructif et sans langue de bois mais ce n'est pas non plus provocateur ou rentre dedans. Le jugement est à charge mais la volonté d'explication apporte une lumière bienvenue sur " les racines du mal ".

Un album courageux, militant et engagé qui décrit une situation effarante avec beaucoup de calme et d'intelligence, avec une réflexion et une sincérité qui honore chaque femme ayant osé se livrer sans retenue. Surtout l'espoir demeure de voir les choses changer et la société évoluer peu à peu. Croisons les doigts pour qu'un retour en arrière obscurantiste ne vienne pas mettre à mal les rares signaux d'émancipation émergeant à l'heure actuelle.

Je laisse le dernier mot à Leïla Slimani, il me semble que tout est dit dans sa conclusion :

" Tous ces témoignages confirment le rôle central que joue la place de la femme dans ces problématiques. Malgré les avancées législatives, malgré l'évolution de la société, le corps de la femme reste contraint par le groupe. Avant d'être un individu, une femme est une mère, une sœur, une épouse, une fille, garante de l'honneur familial, et, pire encore, de l'identité nationale. Sa vertu est un enjeu public.
Il reste à inventer la femme qui ne serait à personne, qui n'aurait à répondre de ses actes qu'en tant que citoyen lambda et pas en fonction de son sexe. La femme qui pourrait s'affranchir de la qa'ida, c'est-à-dire de la norme, de la coutume admise par tous. "

Paroles d'honneur de Leïla Slimani et Laetitia Coryn. Les Arènes, 2017. 105 pages. 20,00 euros.

Paroles d’honneur - Leïla Slimani et Laetitia Coryn