Sou noir, un récit de Chantale Potvin

Ton départ m’a appauvrie. Avant toi, sachant que tu étais dans ma vie, je me sentais remplie de richesses. Je ne m’en rends compte que maintenant. Il faut qu’un être disparaisse de nos vies pour réaliser combien il avait une place importante. Et toi, tu es là depuis mon premier jour. Dès ma tendre enfance, tu faisais partie de mon quotidien. Comment aurais-je pu croire que tu allais mourir, disparaître, t’éteindre ?
Comme un mignon chaton, tu te faufilais partout : sous mon lit, à travers les coussins du sofa où tu t’endormais sur le bord de la fenêtre. Petit noiraud, comme je t’aimais sans savoir que je t’aimais. C’est fou ! Tu étais trop présent, je ne te voyais plus. Je ne savais pas, je ne me doutais pas, je n’arrivais pas même à imaginer que tu serais un jour rayé de la carte. De ma carte !
Petite entité si figée dans le temps. Comme un meuble, je passais à côté de toi sans apprécier ta gentillesse. Je regrette tant ! Je n’ai pas su comprendre ta différence. Aussi, les gens ont été méchants avec toi. Je sais. J’ai entendu. J’ai vu. Je n’ai rien fait. Comme tous les autres qui pleurent ton départ, je n’ai rien fait.
Lors de tes sorties, lors de tes balades, certains te bafouaient, te dénigraient, te rejetaient. Tu ne causais pourtant aucun tort à qui que ce soit. Intimidé comme pas deux, tu as carrément souffert le martyre pendant toute ta vie. Sans dire un mot, comme une minuscule feuille au vent, tu poursuivais courageusement et majestueusement ta route. Tu accomplissais ton destin en gardant la tête haute.
Un bon matin, il y a deux ans, tu es disparu sans m’avertir, sans me dire au revoir. Ta mort n’a pas frappé à ma porte pour me préparer. J’ai eu beau questionner. Personne ne savait. Certains s’en doutaient. Tout le monde s’en foutait. « Il ne servait à rien, de toute façon. À toute les fois que je le voyais, je l’expulsais », clamait l’un sans pitié. « Ce minable était toujours dans nos jambes », ajoutait un autre. Les propos, suite à ton départ, ont été aussi cruels que ceux qui circulaient quand tu étais là, petit noiraud. En naissant, tu n’as pas gagné à la loterie. La chance, la reconnaissance et l’amour ne sont pas des concepts qui ont fait partie de ton triste destin. Tu aurais mérité plus…
Comment se faire à l’idée de ta mort ? Comment accepter que tu ne seras plus ? Que tu ne seras jamais plus ? Tu sais, Noiraud, ton départ définitif me donne une solide leçon. Je veillerai désormais à saisir l’instant et à reconnaître l’importance de ce qui m’entoure. Après toi, je serai plus éveillée.
alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, québecAujourd’hui, Noiraud, je prends le temps de photographier ceux qui passent dans ma vie. J’arrache des parcelles de leur existence pour graver des souvenirs d’eux dans ma mémoire. En quelque sorte, je les collectionne pour qu’ils soient toujours là. Tu vois, pour apaiser ma conscience, dans ma tirelire, j’ai des tas de cinq sous… au cas où eux aussi disparaitraient de la liste des monnaies canadiennes.

Notice biographique

Née à Roberval en 1969, Chantale Potvin enseigne le français de 5esecondaire depuis 1993. Elle a publié cinq romans soit :

-Le génocide culturel camouflé des indiensalain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

-Ta gueule, maman

-Les dessous de l’intimidation

-Des fleurs pour Rosy

-T’as besoin de moi au ciel ?

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois