Le mot commençant par F...

Faggot. Ou pédale, en français. Une insulte qui vise à blesser un homme en touchant à sa virilité et sa masculinité puisque, pendant de longues années, l'homme hétérosexuel pensait qu'un homosexuel était plus proche de la femme que de l'image du mâle viril des magazines. En 2015, cette insulte homophobe est toujours très répandue et continue à rabaisser les gays à des sous-hommes. Est-ce bien vu que les scénaristes de comics utilisent encore ce terme à des fins de caractérisation ?

Sorti en 1990, Miracleman #19 de Neil Gaiman et Mark Buckingham vient d'être réédité par Marvel Comics dans le numéro 3 de la série intitulée Neil Gaiman and Mark Buckingham's Miracleman. Alors que le titre est destiné à un public mature, l'un des textes a été modifié pour remplacer le terme "faggot" par "fairy" qu'on pourrait traduire par "chochotte", quelque chose de plus édulcoré - mais qui reste une insulte pour le bien de l'histoire.

Le mot commençant par F...

C'est Dave Lazarov, auteur de comics indépendants gay ( son site NSFW), qui a relevé le changement dans le texte. Il explique pourquoi il trouve dommage que Marvel ait changé le mot lors de la réédition de l'épisode :

Je trouve que changer "faggot" en "fairy" dans la réédition de Miracleman #19 amoindri l'impact émotionnel de cette scène extraite de "Notes from Underground" pour deux raisons :

1) "Fairy" transforme le propos de Gargunza en une remise en question de la performance masculine de Warhol #6, pas une remise en question de l'attirance homosexuelle de Warhol #6 et,

2) "Faggot" est plus dans l'émotion, c'est à propos du désir homosexuel *pour* Gargunza. Vous voyez, Warhol a aidé Gargunza à tenter de s'échapper parce qu'il avait des sentiments pour Gargunza. Et Gargunza n'est pas seulement homophobe, il est incapable d'aimer. Mors *devrait* savoir, puisqu'il peut lire dans l'esprit de ses "restaurations", comme nous pouvons le voir sur la dernière case de cette page. Ce qui rend encore *plus* fort la peine de Warhol #6 d'être attiré par Gargunza...

Que Mors pense que Warhol #6 est un simple cobaye de ses expérimentations de restauration - plus comme une chose plutôt qu'une personne - ajouter une autre couche de déshumanisation, mais cela est toujours très clair sur la réédition [de Marvel - NdR]. Mais le rapport entre le fait d'être appelé "faggot" et être déshumanisé n'est plus présent.

En résumé, pour ceux qui n'ont pas lu les épisodes de Miracleman par Gaiman et Buckingham, Lazarov estime que l'utilisation du mot et la violence qu'il dégage sont importants dans ce cas précis. "Faggot" permet de bien situer à la fois le personnage et ses intentions mais aussi à comprendre la réaction du personnage qui se fait insulter.

La semaine dernière est sorti Paper Girls, la nouvelle création de Brian K. Vaughan ( Saga, Runaways, Y The Last Man...) avec le dessinateur Cliff Chiang ( Wonder Woman...).

Le mot commençant par F...

Rich et Cougar, un couple d'hommes mariés qui tient Whatever Store, un comicshop à San Francisco, n'ont pas apprécié ce premier épisode parce que l'héroïne utilise de manière gratuite le mot "faggot".

Je suis tellement déçu par Brian K. Vaughan et par Image Comics, dit-il. Je ne vais pas du tout recommander Paper Girls. Ce qui est honteux puisque j'avais de grands espoirs pour le titre. Est-ce que je vais devoir boycotter tous ses livres [à Vaughan] comme je le fais pour Rick Remender ? Il n'y a AUCUNE place pour ce mot tout spécialement dans une BD. En tant qu'homme gay qui tient un comic book store je suis tellement en COLÈRE que les prinvipaux éditeurs de comics continuent de permettre l'utilisation de ce mot. Hé, GLAAD [association de lutte contre la discrimination LGBT dans les médias américains], je suis curieux de savoir quand le mot faggot sera autant outragant que tranny [qu'on pourrait traduire par "travelo"] ?

Dans ce mot, le couple cite Rick Remender qui lui aussi a utilisé ce mot dans ses BD notamment dans Fear Agent, ce qui caractérise bien le héros Heath Hudson mais aussi dans sa préface lorsque l'auteur rappelait sa jeunesse et combien il était con (je résume). Je comprends la colère de Rich et Cougar, mais apparemment cela ne pose pas de problème à James Sime, propriétaire de Isotope Comics à San Francisco, également gay, qui a déjà invité Remender plus d'une fois dans sa librairie.

Ce qui n'empêche pas que je comprends la colère de Rich et Cougar. Dans Paper Girls - mais aussi Deadly Class, l'utilisation du mot est gratuite mais caractérise fortement le personnage qui l'emploie. Dans la série de Vaughan, il s'agit d'une fille forte capable de remettre en place un mec balaise rien qu'en se pointant. Mais, quoiqu'il en soit, elle touche à la virilité de la personne à qui l'injure est destinée. Comme je l'écrivais dans mon chapeau d'article, "faggot" rabaisse violemment les gays en les catégorisant de sous-hommes. Les deux séries se déroulant dans à la fin des années 80 - soit un peu avant la publication de Miracleman #19, les auteurs veulent certainement montrer que les personnages peuvent être blessant sans s'en rendre réellement compte. En effet, à l'époque, l'utilisation de ce genre de mot était abusive sans pour autant que les gens se rendent compte ô combien un simple mot pouvait être blessant. Bon, il faut admettre que je pardonne plus facilement de cette utilisation puisque nous parlons de deux auteurs dont la tolérance et l'ouverture d'esprit ne sont plus à prouver. Mais si Rob Liefeld, Orson Scott Card (romancier ouvertement homophobe) ou Neil Blomkamp (réalisateur et scénariste de District 9) utiliseraient ce mot, il y aurait trop de premier degré pour que cela puisse passer.

Le fait que l'utilisation soit gratuite est dérangeante mais, d'un autre côté, est-ce que cela n'est pas ce que les auteurs souhaitent ? Après tout, vous, si vous voyez un personnage dans un comicbook (ou n'importe quel autre média) prononcer "pédale" ne dressez-vous pas la tête en vous demandant si ce n'est pas abusé ? Mais interdire l'utilisation dans certains cas ne ressemblerait pas à de la censure ? La réponse semble évidente mais ce simple mot a su faire tant de mal que la question mérite d'être posée.

via Bleeding Cool.


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois