Rue de la Justice

Rue de la Justice

" Rue de la Justice "

SALLENAVE Danièle

L'arrière-grand-mère de l'Académicienne. Laurence Frémondière, née Cormeau, en 1863. Du côté d'Angers, en ce pays où la Loire atteindra bientôt au terme de son parcours. Laurence Frémondière dont Danièle Sallenave a tenté de retrouver les traces en cet Anjou que la lavandière jamais ne quitta. Traces inexistantes. Et pour cause : en cette seconde partie du 19° siècles, les humbles, les damnées de la terre ne disposaient d'aucun des moyens qui sont les outils de la transcription des souvenirs. Dont l'écriture. Juste une gravure installée sur sa cheminée et qui laissait voir ce que furent les obsèques de Victor Hugo. Laurence Frémondière avait vingt ans lorsque mourut l'Auteur de Les Misérables et quand le peuple de Paris rendit à cet Ecrivain d'exception un prodigieux hommage.

Danièle Sallenave n'a donc retrouvé de son aïeule que le peu qu'il était possible de relier à l'histoire des lavandières des rives de Loire et d'un peuple qui se consacrait au labeur imposé et non négociable fourni par une bourgeoisie obtuse et engluée dans ses privilèges. Un peuple par ailleurs soumis à la tutelle des prêtres et de leurs évêques. Alors que la 3°République, en dépit de ses contradictions et des lâchetés de ses dirigeants, hasardait d'iconoclastes réformes. Dont celle qui a laissé des traces majeures dans la mémoire collective des Français : l'école laïque, gratuite et obligatoire. Mais aussi cette aspiration à la Justice tout autant qu'à certaines formes - point trop exigeantes toutefois - de l'Egalité.

" ... une revendication plus ancienne, restée longtemps informulée : la demande de justice. Clémenceau l'a bien compris : " La grande formule de la Révolution - Liberté, Egalité, Fraternité - qui contient dans ces trois mots tous les Droits de l'Homme, toutes les réformes sociales, tous les préceptes de la morale, se résume dans une formule plus brève encore, la Justice. " Liberté : sans doute le tableau de Delacroix, c'est une " femme du peuple " qui tient le drapeau de la liberté. Mais quel sens concret, politique, ces mots pouvaient-ils avoir pour mon arrière-grand-mère, dans les années 1880 ? " Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit " ? Laveuse sur les bords de Loire, elle voit bien comme on s'adresse à elle quand elle vient prendre ou rapporter le linge. Elle est née et vit au sein d'une société inégale, hiérarchisée, divisée, mais enne est armée de cette certitude que le travail, l'honnêteté, le courage, lui donnent le droit de soutenir le regard de ceux qu'anime, dans sa variante moderne, flatteuse et hypocrite, le " préjugé nobiliaire "... "

Rue de la justice est donc, par-delà la tentative de faire revivre devant le Lecteur une aïeule dont la cheminée s'ornait de la représentation des obsèques de Victor Hugo, une restitution de ce temps de l'Histoire de France, temps durant lequel il fut donné sens et vigueur aux mots ci-dessus cités. Un temps où hommes et femmes ne courbaient pas l'échine et s'évertuaient à s'inventer un avenir qui ne soit pas celui qu'imposait déjà le Grand Foutoir Capitaliste.


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois