Le bureau d'éclaircissement des destins - Gaëlle Nohant

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  • Titre : Le bureau d'éclaircissement des destins
  • Autrice : Gaëlle Nohant
  • Editions : Grasset
  • Date de parution : 4 janvier 2023
  • Nombre de pages : 416
  • ISBN : 978-2-246-82886-0

L'autrice

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Gaëlle Nohant, née en 1973 à Paris est une écrivaine française. Le Bureau d'éclaircissement des destins est son 5ème roman. Photo prise le 12 janvier 2023 lors d'une rencontre captivante avec Gaëlle Nohant à la librairie Les Traversées dans le 5ème arrondissement de Paris (en bas de la rue Mouffetard). 

Quatrième de couverture

Au cœur de l’Allemagne, l’International Tracing Service est le plus grand centre de documentation sur les persécutions nazies. La jeune Irène y trouve un emploi en 1990 et se découvre une vocation pour le travail d’investigation. Méticuleuse, obsessionnelle, elle se laisse happer par ses dossiers, au regret de son fils qu’elle élève seule depuis son divorce d’avec son mari allemand.  A l'automne 2016, Irène se voit confier une mission inédite : restituer les milliers d’objets dont le centre a hérité à la libération des camps. Un Pierrot de tissu terni, un médaillon, un mouchoir brodé… Chaque objet, même modeste, renferme ses secrets. Il faut retrouver la trace de son propriétaire déporté, afin de remettre à ses descendants le souvenir de leur parent. Au fil de ses enquêtes, Irène se heurte aux mystères du Centre et à son propre passé. Cherchant les disparus, elle rencontre ses contemporains qui la bouleversent et la guident, de Varsovie à Paris et Berlin, en passant par Thessalonique ou l’Argentine. Au bout du chemin, comment les vivants recevront-ils ces objets hantés ?

Le bureau d’éclaircissement des destins, c’est le fil qui unit ces trajectoires individuelles à la mémoire collective de l’Europe. Une fresque brillamment composée, d’une grande intensité émotionnelle, où Gaëlle Nohant donne toute la puissance de son talent. 

Mes impressions

Je ne sais pas par où commencer pour évoquer cette lecture tant elle m'a bouleversée. 

Je connaissais le processus de restitution des biens spoliés aux familles juives pendant la seconde guerre mondiale, un véritable travail d'enquêteur, métier de ma chère voisine berlinoise. J'ignorais l'existence du processus de restitution d'obkets, lettres, traces quelles qu'elles soient aux familles des déportés. Là encore un minutieux travail d'enquêteur, dans l'autre sens en quelque sorte. 

Bad Arolsen (Arolsen jusqu'en 1997) est une ville allemande qui se trouve dans la région de la Hesse. C'est là-bas qu'a été installé dès la fin de la guerre LE centre d'archives et de documentation sur les persécutions nazies. L'International Tracing Service (ITS). On y trouve des milliers de documents, lettres, cartes, souvenirs, objets ayant appartenu à des personnes déportées dans les camps de concentration. 

Irène, Française ayant épousé un Allemand, fait partie de l'équipe depuis 1990 quand elle se voit confier en 2016 la délicate mission de restitution d'objets. Parmi eux, un pierrot de tissu et un médaillon. 

C'est alors que commencent les enquêtes haletantes d'Irène, qui se croisent et s'entremêlent, à la recherche de Lazar et Wita, à Buchenwald, Treblinka, Auschwitz et Ravensbrück. Souvent dans le passé, parfois dans le présent mais aussi dans le monde entier. Irène se découvre une passion pour ce travail et va alors se livrer à de véritables batailles contre le temps et les réticences de certains. Sans jamais baisser les bras ni laisser une piste inexplorée. Dotée d'une ténacité redoutable, elle ira au bout de ses histoires, qui la conduiront des indicibles souffrances de tous ces témoins jusqu'aux vies parfois compliquées de leurs descendants. 

Entre la multitude de personnes déplacées au sortir de la guerre, le sort des enfants volés - eux aussi déplacés - et les destins souvent incertains des victimes des camps, le tout 70 ans plus tard, la tâche est rude mais Irène persévère. 

Irène, notre enquêtrice dans le roman, n'est pas juive, n'a pas de lien "direct" avec cette sombre période de l'histoire. Et pourtant. C'est ce qui m'a aussi beaucoup touchée. Gaëlle Nohant nous montre à quel point cette histoire est universelle, tant dans les époques que dans les lieux. Nous sommes tous et partout concernés. 

Les titres des chapitres sont des prénoms, les prénoms des protagonistes. Ainsi l'autrice mêle-t-elle les prénoms du passé, des disparus, à ceux des vivants et des survivants. Une belle façon de les faire exister à nouveau, ou tout simplement de dire qu'ils sont toujours là. Qu'on ne les oublie pas. Lazare, Wita, Agata, Karl, Ewa, Lucia...

Ce roman est un lien solide entre le passé et le présent. Irène, au fil de ses enquêtes et grâce à sa ténacité, fait des rencontres bouleversantes. Dans le passé comme dans le présent. Ce livre est un bel hommage de l'autrice à tous ces travailleurs acharnés, travailleurs de l'ombre la plupart du temps, qui s'attèlent à la tâche pour que les disparus ne soient pas oubliés. Et un hommage bien sûr aux disparus ainsi qu'aux victimes survivantes de ce chaos. 

La fin de l'histoire à Berlin, dans un quartier que je connais bien, m'a tiré des larmes. Il y a très longtemps que ça ne m'était pas arrivé. 

*****

Gros gros coup de coeur

p.70  "Restent deux millions de déplacés, qui ne veulent ou ne peuvent retrouver leur patrie. Parce qu'elle n'existe plus, ou à l'état de ruines contrôlées par les Soviétiques. Parce qu'ils n'ont pas le coeur de revenir dans le pays où leur famille a été assassinée, où leurs voisins ont pillé leurs biens et récupéré leurs logements. Le passé est un cimetière. L'avenir, flamme ténue, ne peut exister que sous un autre ciel."

***

p.110  "Quand on lui demande si elle sohaite être rapatriée, elle répond : "Ich weiss nicht." Je ne sais pas. Elle a quinze ans à peine, vient de vivre une odyssée concentrationnaire. Quel avenir pourrait-elle envisager ?" 

***

p.157  "Et puis des milliers de photos d'enfants ont afflué des pays de l'Est et des pays baltes, et il a fallu se rendre à l'évidence. Aujourd'hui, on estime à deux cent mille le nombre d'enfants kidnappés. 

- Deux cent mille ! s'exclame Irène. 

- Vertigineux, n'est-ce pas ? Himmler avait ordonné à ses SS de "voler le sang pur" partout où il se trouvait. Ils repéraient les enfants de deux à douze ans qui avaient des traits "aryens". Ensuite, avec les infirmières nazies, qu'on appelait les soeurs brunes, ils raflaient les mômes dans les écoles, les orphelinats, parfois en pleine rue." 

***

p.161  "Les chercheurs d'enfants étaient pris en tenaille entre l'autorité militaire et leur propre dilemme. Quel était l'intérêt de leurs protégés ? Les retirer à leurs parents adoptifs, c'était leur infliger un nouveau déchirement, les déraciner pour une patrie oubliée. Les leur laisser, c'était cautionner les crimes nazis, légitimer le rapt comme moyen d'adoption. Fallait-il les abandonner à d'anciens ennemis ? Les condamner à la misère d'un pays contrôlé par les Soviétiques ?"

***

p.263  "Elle marche sur eux, et la mélancolie qui l’envahit, comme l’humidité ronge un mur, porte le fantôme des rues effacées, et de ceux qui en étaient l’âme. Est-ce qu’ils hantent les habitants du quartier ?"

***

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Le Mémorial du camp de concentration de Buchenwald, avril 2019

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Le Schlachtensee à Berlin


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