On n’a pas tous les jours 60 ans

Soixante printemps en hiver (Aimée de Jongh – Ingrid Chabbert – Editions Aire Libre)

« Je pars. » Le jour de ses soixante ans, Josy prononce ces deux petits mots auxquels personne ne s’attend. Son mari, ses enfants et ses petits-enfants voudraient qu’elle souffle les bougies de son gâteau d’anniversaire, mais cette année, elle ne le fera pas. Elle a décidé de tourner la page. Définitivement. Sous les yeux médusés de ses proches, qui ne comprennent pas quelle mouche a bien pu la piquer, Josy se lève, prend sa valise et quitte la maison familiale à bord de son vieux van Volkswagen. A la surprise générale, cette mère de famille sans histoire décide de baisser le rideau sur 35 années de mariage et de reprendre sa liberté. Une fois le choc encaissé, son fils et sa fille ne cessent de l’appeler pour tenter de la convaincre de revenir sur sa décision, en lui faisant remarquer qu’on n’abandonne pas sa famille sur un coup de tête et en la culpabilisant sur le mal qu’elle fait à leur pauvre père. Pour eux, c’est clair: leur mère est une égoïste et elle fait n’importe quoi. Mais Josy n’en démord pas. A soixante ans, elle estime qu’elle a assez donné et qu’il est temps d’arrêter de faire semblant. Ça fait belle lurette que son mari et elle ne s’aiment plus, alors pourquoi continuer à vivre cette vie morne et sans passion? Plutôt que de rentrer chez elle, elle choisit de vivre désormais dans son van VW, garé sur une aire de camping. C’est là qu’elle fait la rencontre de Camélia, une jeune femme qui vit dans une caravane avec son petit garçon Tom. Régulièrement, la police lui demande de plier bagage, mais tout comme Josy, elle n’a aucune envie d’obéir aux ordres. Rapidement, les deux femmes deviennent amies. Bien consciente que sa nouvelle voisine de camping a besoin d’un coup de pouce (et aussi d’un peu de distraction), Camélia lui suggère de se rendre à une soirée organisée par une dame chez qui elle fait le ménage. Il s’agit d’une soirée du CVL, le « Club des Vilaines Libérées », un groupe de femmes qui, comme Josy, ont pris un jour la décision de se faire la belle. En rejoignant ce cercle d’amies, Josy est loin de s’imaginer que sa vie va, de nouveau, prendre une tournure complètement inattendue…

On n’a pas tous les jours 60 ans

« Soixante printemps en hiver » est une bande dessinée originale et osée, car elle aborde deux sujets qui restent tabous. Le premier d’entre eux, c’est celui du changement de vie lorsqu’on est une respectable mère de famille de 60 ans. On parle souvent de la crise de la quarantaine ou de la « midlife crisis », mais on évoque beaucoup moins cette angoisse existentielle que certaines femmes peuvent ressentir lorsque l’âge de la retraite approche, que les enfants ont quitté le nid depuis longtemps et que la routine s’est installée dans la vie de couple. On sait que dans ces cas-là, c’est souvent le mari qui prend la poudre d’escampette, généralement avec une femme plus jeune, afin d’oublier le temps qui passe et de prendre un nouveau départ. Lorsqu’il s’agit d’un homme, ce genre de changement de vie est relativement bien accepté par la société. Par contre, quand c’est la femme qui prend la décision de tout plaquer, l’entourage se montre souvent moins compréhensif. Les deux autrices de cette BD montrent bien à quel point il est plus compliqué de reprendre sa liberté lorsqu’on est une femme, notamment à cause de la fameuse charge mentale qui pèse sur les mères de famille, dont on attend qu’elles sacrifient leur vie de femme pour leur mari et leurs enfants. L’autre sujet tabou abordé par « Soixante printemps en hiver », c’est celui de la sexualité des femmes de 60 ans, et en particulier les nouvelles expériences que l’on peut découvrir à cet âge-là, même lorsqu’on croit que plus rien ne peut encore vous bouleverser. La scénariste IngridChabbert aborde ces deux sujets délicats avec beaucoup de sensibilité, en ne versant pas dans le manichéisme. Certes, son message principal est de nous montrer que l’on ne doit jamais se laisser enfermer dans la routine et la monotonie. Pour elle, il est toujours possible de reprendre son destin en main, quel que soit son âge ou sa situation familiale. Mais en même temps, le livre ne fait pas croire non plus qu’il est facile de tout laisser en plan pour se reconstruire ailleurs. Au contraire, Josy passe par énormément de moments de désillusion… Pour mettre en images ce scénario très dense, qui aurait certainement pu tenir sur davantage de pages, Ingrid Chabbert a fait appel à la dessinatrice néerlandaise Aimée de Jongh, qui change complètement d’univers après « Jours de sable », sa BD multi-récompensée sur les ravages du « Dust Bowl » dans l’Amérique des années 1930. Son dessin plein d’émotion et de douceur colle parfaitement à ce beau portrait de femme.


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