La mère/mer d'Elena Tognoli

La mère/mer d'Elena Tognoli

Les originaux des entrées de chapitre, exposés l'an dernier au Clignoteur.


La mère/mer d'Elena Tognoli Toute blanche excepté son bonnet de bain sombre, une femme s'embrouille en couverture dans un immense filet flottant sur une mer d'un bleu d'encre. Un bleu magnifique, tirant sur le sombre, tracé au stylo, griffé des petits traits blancs de l'onde. Si on pose le superbe roman graphique en bleu foncé et blanc d'Elena Tognoli "Mater Baltica" (traduit de l'italien par Eloisa Del Giudice, Esperluète, collection "Hors formats", 128 pages) à plat, le dessin de couverture laisse apparaître une algue ondulant dans un coin et un filet encore plus agité.
Mère Baltique, mer Baltique, les deux idées s'enchâssent dans ce magnifique et énigmatique long poème illustré. "On a trouvé une femme dans la mer Baltique, elle était remplie de petits œufs". La première phrase est précédée de dessins sans texte, un œuf posé sur une chaise paillée en entrée de chapitre, trois scènes où la femme approche de la mer. 
Textes et dessins racontent en dix chapitres s'ouvrant sur un siège où s'accumulent des œufs et où revient la phrase "On a trouvé une femme..." une femme, nageuse mystérieuse qui pose mille questions, sur elle-même, sur le monde, sur les animaux, sur les humains, sur leurs connaissances, sur leurs rêves et leurs cauchemars, sur leurs désirs et leurs peurs. 
Tantôt joyeuse, tantôt songeuse, tantôt peureuse, pleine de désir ou de larmes, la femme s'interroge sur la féminité, la maternité et la filiation dans un monde dont l'état inquiète. Et si les matriarches que sont les baleines et les éléphantes disparaissaient sans descendance? Et si ses petits œufs donnaient naissance à des monstres? Et si... Autant de questions qui trouveront réponse quand l'héroïne découvrira que ses petits œufs éclosent en mots et que ces mots font des phrases et que ces phrases font des histoires...
Avançant autant par le texte que par les dessins, "Mater Baltica" nous pousse à nous questionner, sans toutefois apporter de jugement ou de réponse. Les mots d'Elena Tognoli, fort bien traduits, ont la force de ce qui a été vivifié par les embruns. Ses dessins, qu'ils soient en vignettes, en pages ou en doubles pages, de toute beauté, à la fois fluides et expressifs, renforcent ses propos. Ce roman graphique a la force de sa douceur, et la douceur de sa force. Comme une mère/mer.
"Je dessine pour comprendre le monde", explique Elena Tognoli. "J'ai étudié l'illustration au Camberwell College of Art (Londres) parce que j'étais attirée par l'idée d'un art reproductible et peu coûteux, qui tienne entre les pages d'un livre. Cependant, je me suis rapidement éloignée des conventions du monde de l'illustration pour me consacrer au dessin, à la création de livres d'artiste et à l'impression artistique, en particulier la sérigraphie.
Je crée des séries d'images reliées par des récits ouverts et non linéaires, souvent complétées par des textes courts et des poèmes. Je m'intéresse aux contradictions générées par la juxtaposition du langage visuel et du langage verbal (...).
Les thèmes récurrents de mon travail sont le corps humain et la proprioception (NDLR: sensibilité du système nerveux aux informations provenant des muscles, des articulations et des os), et ce en raison d'expériences personnelles de maladie et de résilience. Je décris la construction de l'identité individuelle entre la mémoire personnelle, familiale et collective.
Je préfère les matériaux et les formats facilement diffusables, tels que le papier, le tissu, les estampes et les éditions d'artiste en édition limitée."

Les originaux de "Mater Baltica" ont été exposés en mai 2021 à la galerie bruxelloise Le Clignoteur.
Sur Instagram, Elena Tognoli s'amuse en jouant sur les séries de trois du réseau social. En témoignent ses variations sur le thème de "Mater Baltica".
La mère/mer d'Elena Tognoli

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Elena Tognoli sur Instagram.







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