La décision de Karine Tuil

Juger revient à devoir choisir, trancher, décider. Parfois la décision prise semble évidente, elle s’impose d’elle-même et parfois aucune certitude ne se dégage. Alors dans le doute…

La décision de Karine Tuil (éditions audio Gallimard)

La décision de Karine Tuil (éditions audio Gallimard)

Or, les conséquences d’une mauvaise décision peuvent revêtir un caractère dramatique quand on est juge d’instruction antiterroriste. Alma Revel en a parfaitement conscience, elle ne sous-estime en aucun cas sa fonction et les répercussions que peuvent entraîner ses choix, surtout quand elle a affaire à des candidats au jihad repentis, qui vous jurent la main sur le coeur qu’ils en sont sortis de toutes ces conneries, qu’ils ne rêvent plus que de rédemption et de vie paisible auprès de leurs proches. Quelle décision prendre face à ces gamins mal dégrossis ? Pile, elle peut mettre ces mômes influençables en taule, au risque que la prison ne les radicalise encore davantage, avant de les relâcher telles des grenades prêtes à dégoupiller. Face, elle peut libérer un potentiel terroriste qui fera tout sauter à peine les portes du tribunal franchies. Comment savoir ? Comment avoir la certitude de faire le bon choix ? Quel est alors le rôle du juge dans tout cela : tenter de réinsérer un individu dont on ne sait pas grand chose ou punir sur l’instant et pour la suite, on verra le moment venu ? Quel devoir a-t-il envers la société ? Et en a-t-il seulement envers les victimes ?

Je leur serre toujours la main quand ils entrent dans mon bureau même quand ils sont accusés de crimes abominables : c’est ma façon d’affirmer la primauté de l’humanité sur la barbarie…

On perçoit parfaitement ce poids qui pèse sur les épaules de la juge, personnage principal du dernier roman de Karine Tuil. L’auteure parvient avec une telle acuité à nous montrer cette zone de gris qui habite le quotidien des magistrats en proie aux doutes bien plus qu’aux certitudes. Elle démontre par là, s’il était encore utile de le souligner, que la justice de l’homme ne peut être qu’imparfaite. Que le droit ne se suffit pas toujours à lui seul pour prendre une décision, qu’à certains moments il est fait appel à l’intime conviction et qu’à partir de ce moment-là, le risque d’erreur ne peut plus être écarté.

[…] on ne peut pas garder tout le monde en prison pour se protéger, on évalue la dangerosité au cas par cas et parfois, on se trompe, la compréhension humaine n’est pas une science exacte.

J’ai été fascinée par la portée de ce roman car il s’y passe précisément ce que l’on peut espérer de mieux en tant que lecteur : on se glisse facilement dans la peau de cette juge et l’on ressent inévitablement ses tiraillements moraux. L’empathie marche à fond et l’on comprend petit à petit à quel point, dans certains domaines il est impossible d’accepter l’évidence : « l’erreur est humaine ». Je passe volontairement sous silence bien d’autres angles de ce roman, non parce qu’ils sont moins intéressants, loin de là, mais parce qu’au contraire ils apportent toute la richesse et la complexité à cette histoire que je souhaite vous laisser découvrir par vous-même. En tout cas, me concernant, La décision est arrivée à surpasser Les Choses humaines alors que la barre était pourtant déjà très haut. Chapeau l’auteure !

On passe des heures avec les mis en examen, pendant des années, des heures compliquées au cours desquelles on manipule une matière noire, dure. À la fin de mon instruction, je dois déterminer si j’ai suffisamment de charges pour que ces individus soient jugés par d’autres. C’est une torture mentale: est-ce que je prends la bonne décision ? Et qu’est-ce qu’une bonne décision ? Bonne pour qui ? Le mis en examen ? La société ? Ma conscience ?


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L’ESSENTIEL

Couverture de La décision de Karine Tuil

Couverture de La décision de Karine Tuil

La décision
Karine TUIL
Editions Gallimard (en papier et en audio)
Sorti le 06/01/2022 en GF et en audio
304 pages (6h56 d’écoute)
Lu par Florence Loiret Caille


Genre : roman sociétal
Personnages : Alma Revel, AbdelJalil Kacem et son avocat
Plaisir de lecture : ❤❤❤❤❤
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : Les Choses humaines de la même auteure, Khalil et L’Attentat de Yasmina Khadra, Le silence d’après de Cath Staincliffe

RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR

Mai 2016. Dans une aile ultrasécurisée du Palais de justice, la juge Alma Revel doit se prononcer sur le sort d’un jeune homme suspecté d’avoir rejoint l’État islamique en Syrie. À ce dilemme professionnel s’en ajoute un autre, plus intime : mariée depuis plus de vingt ans à un écrivain à succès sur le déclin, Alma entretient une liaison avec l’avocat qui représente le mis en examen. Entre raison et déraison, ses choix risquent de bouleverser sa vie et celle du pays…

Avec ce nouveau roman, Karine Tuil nous entraîne dans le quotidien de juges d’instruction antiterroristes, au coeur de l’âme humaine, dont les replis les plus sombres n’empêchent ni l’espoir ni la beauté.


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La décision de Karine Tuil


TOUJOURS PAS CONVAINCU ?

3 raisons de lire La décision

  1. Parce qu’il fait partie de ces romans qui nous aident à mieux comprendre la société dans laquelle nous vivons
  2. Parce que le thème nous touche de près
  3. Parce que les questions posées ne méritent pas des réponses toutes faites

3 raisons de ne pas lire La décision

  1. Parce qu’en 300 pages seulement, il est impossible de creuser ce sujet comme il le mériterait
  2. Parce que l’histoire a un côté un peu hollywoodien : il faut que ça marque les esprits, quitte à perdre un peu en subtilité et beaucoup en crédibilité
  3. Parce que les personnages paraissent froids et dénués de toute émotion

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