Patrice Leconte et la bande dessinée, une relation qui n’a rien de ridicule

Patrice Leconte et la bande dessinée, une relation qui n’a rien de ridicule

Leconte fait son cinéma (Exposition au Centre Belge de la Bande Dessinée jusqu’au 28 mars 2022 – Rue des Sables 20, 1000 Bruxelles)

Leconte fait son cinéma (Nicoby – Joub – Editions Dupuis)

Deux passantes dans la nuit – Tomes 1 & 2 (Patrice Leconte – Jérôme Tonnerre – Alexandre Coutelis – Editions Grand Angle)

Peu de gens le savent, mais le cinéaste Patrice Leconte a démarré sa carrière dans la bande dessinée. Certes, il a toujours rêvé de faire du cinéma, mais le réalisateur des « Bronzés », de « Ridicule » et du « Mari de la coiffeuse » a d’abord fait un crochet par le Neuvième Art avant de définitivement rejoindre le monde du Septième Art. C’est le dessinateur Gotlib, pour qui il éprouvait une admiration sans bornes et avec lequel il avait sympathisé, qui le présente à René Goscinny en 1970. En plus d’être le scénariste légendaire d’Astérix, de Lucky Luke et du Petit Nicolas, celui-ci est alors le rédacteur en chef du magazine Pilote. A sa grande surprise, Goscinny est séduit par le travail et par la personnalité du jeune homme et il décide de l’engager pour produire deux planches hebdomadaires. C’est comme ça que Patrice Leconte devient subitement auteur de BD, presque par hasard. Entre 1970 et 1975, il publie près de 300 pages des histoires de Gazul dans Pilote. Quelques-unes de ses planches, au style graphique très « seventies », sont visibles pour le moment au Centre Belge de la Bande Dessinée. « Quand j’ai eu l’occasion de faire mon premier film, j’ai rangé mon encre de Chine pour de bon et j’ai arrêté la BD », se souvient Patrice Leconte en visitant l’expo qui lui est consacré. « Mais en revoyant ces planches, je trouve que mes dessins n’étaient pas mal du tout finalement », sourit-il, avec cette éternelle malice qui le caractérise. Son lien avec la BD ne s’arrête pas là. Car c’est son comparse Gotlib qui signe le scénario de son premier film « Les vécés étaient fermés de l’intérieur », sorti en 1976. D’ailleurs, c’est grâce à la réputation de Gotlib que Coluche et Jean Rochefort, les deux têtes d’affiche du film, acceptent de participer au projet. Ce premier long métrage est un échec, mais il permet à Patrice Leconte de se faire remarquer par la troupe du Splendid, avec qui il tourne ensuite « Les Bronzés ». Sa carrière de réalisateur est lancée, celle de dessinateur se termine.

L’expo au Centre Belge de la Bande Dessinée permet également de découvrir des planches originales de l’album « Leconte fait son cinéma », sorti il y a quelques mois dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis. Dans cette BD pleine d’humour, on suit les auteurs Nicoby et Joub, qui ont eux-mêmes suivi Patrice Leconte pendant plusieurs mois. « Je les ai présentés à tout le monde comme mes gardes du corps, ce qui leur a permis de rentrer sans problèmes absolument partout », rigole le réalisateur. L’objectif de Nicoby et Joub était de retracer la carrière prolifique du cinéaste, mais aussi de montrer les coulisses de la préparation puis de la réalisation d’un film. Mais comme on le découvre rapidement en lisant cet album, ce n’est pas facile de suivre le rythme infernal de Patrice Leconte. Comme il travaille en permanence sur plusieurs projets à la fois, tout change tout le temps, que ce soit le sujet de son prochain film, le calendrier des tournages ou l’identité de ses actrices et de ses acteurs. Et puis, il y a aussi beaucoup de projets qui ne se font jamais. « Vous savez, en 43 ans, j’ai fait 30 films. Et j’ai aussi pas fait 30 films. Il y a autant de films tournés que de projets qui sont tombés à l’eau », explique le réalisateur aux deux auteurs de BD qui le suivent comme son ombre. D’une rencontre à l’autre, Nicoby et Joub tombent donc à chaque fois des nues, ce qui constitue un formidable ressort comique. Loin d’une simple biographie ou interview du réalisateur, « Leconte fait son cinéma » est une BD très dynamique, avec un véritable sens des dialogues et des réparties. « On a vraiment essayé de coller à la manière de parler de Patrice », expliquent Nicoby et Joub. Finalement, leur patience a été récompensée puisque malgré les difficultés liées à la pandémie de Covid, ils ont pu venir sur le plateau de tournage de « Maigret », le nouveau film de Patrice Leconte, avec Gérard Depardieu dans le rôle principal.

Patrice Leconte et la bande dessinée, une relation qui n’a rien de ridicule

Même si Patrice Leconte dit avoir tourné la page de la bande dessinée depuis longtemps, il a tout de même fait une exception il y a quelques mois en signant avec son complice Jérôme Tonnerre le scénario du diptyque « Deux passantes dans la nuit », paru chez Grand Angle et magnifiquement mis en images par Alexandre Coutelis. Cette BD forcément très cinématographique raconte la longue nuit de deux jeunes femmes dans le Paris désert de l’Occupation. Il y a d’un côté Arlette, qui sort de prison et qui veut fêter sa liberté retrouvée, ce qui s’avère loin d’être évident dans une capitale française soumise au couvre-feu allemand, où rôdent les silhouettes sombres et les menaces. De l’autre côté, il y a Anna, une magicienne qui vient de perdre son emploi dans le cabaret où elle travaillait et qui semble se méfier de tout et de tout le monde. L’une est insouciante et légère, l’autre beaucoup plus sombre et torturée, mais Arlette et Anna vont se rapprocher par la force des choses, ne fût-ce que pour sauver leur peau jusqu’au lever du jour… « A la base, cette histoire devait devenir un film, mais le projet est tombé à l’eau », explique Patrice Leconte. « En général, ma philosophie est de dire que quand un truc ne se fait pas, c’est qu’il ne doit pas se faire, mais là, j’ai fait une exception. J’ai donc accepté d’en faire une BD. En plus, je connaissais encore d’Alexandre Coutelis de ma période chez Pilote, puisqu’il a travaillé là-bas en même temps que moi. »


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