Jesmyn Ward : Le Chant des revenants

jesmyn wardJesmyn Ward, née en 1977 à Berkeley (Californie) mais élevée dans l’état du Mississippi, est une romancière américaine. Bénéficiant d’une bourse pour l’Université Stanford, elle obtient en 2005 un MFA (master of fine arts) en création littéraire à l'Université du Michigan. Elle est professeur de création littéraire à l'Université de South Alabama à Mobile, puis à l'Université Tulane (La Nouvelle Orléans). Elle remporte à deux reprises le National Book Award : en 2011, pour son deuxième roman, Bois sauvage et en 2017, pour son troisième roman, Le Chant des revenants.

Jojo, treize ans, vit chez ses grands-parents noirs Papy River Red et Mamy Philomène, sa mère Leonie, leur fille, et sa petite sœur Kayla qui a trois ans. Le père, Michael, est blanc et termine une peine de prison de trois années à Parchman Farm. Leonie, ses gamins et sa copine blanche Misty partent en voiture pour un long périple afin de récupérer Michael…

J’ai longtemps hésité à lire ce roman, raté aux premiers jours de sa sortie, soulé par les critiques dithyrambiques et unanimes ensuite, j’ai préféré laisser le plat refroidir avant d’y goûter. Hé bien, ça se mange très bien ainsi ! Et je reconnais que Jasmyn Ward a fait très fort avec ce roman.

J’ai surtout été emballé par l’écriture qui marie les styles selon les situations ou les effets désirés, mais toujours d’une apparente facilité. Ici, des phrases courtes et simples imposant un rythme rapide et enlevé, là, des mots de tous les jours pour dire des faits terribles de gravité et de souffrance, nous évitant un certain lyrisme qui aurait pu générer des émotions fictives, les mots seuls suffisent. Le lyrisme on le trouve ailleurs, quand il s’agit de rêves ou de conversations avec les morts, ces revenants venus hanter les vivants. Quant à la forme, il s’agit d’un roman chorale, où les principaux acteurs prennent la parole chacun leur tour, le temps d’un chapitre, Jojo, Leonie…

Leonie n’est pas une mère exemplaire dans le sens classique du terme, « elle n’a pas l’instinct maternelle » reconnait sa mère. Ajoutons qu’elle se drogue, ce qui n’arrange pas les choses, endurant une ancienne souffrance depuis le meurtre de son frère Given, tué par un cousin de Michael ! Du coup c’est Jojo qui s’occupe de sa sœur (leur relation adorable m’a fortement rappelé celle entre Paul et Ana, gosses dans Les Héros de la Frontière de Dave Eggers, d’autant qu’il y avait aussi là un long voyage en voiture). Papy, vieil homme sage qui a lui aussi fait de la prison à Parchman Farm, est un modèle pour Jojo qui n’a pas de père présent, quant à Mamie, elle se meurt lentement d’un cancer.

Le livre traite deux thèmes principaux, le racisme et le rapport à la mort pour un gamin qui s’éveille à la vie. Le racisme, ce sont les parents de Michael qui haïssent Leonie et ne veulent pas la recevoir chez eux, ni voir leurs petits-enfants ; ce petit flic qui contrôle la voiture de Leonie et menace de son flingue Jojo ; ce sont les évocations de la vie ou de la mort dans le tristement célèbre pénitencier (et là, c’est à Nickel Boys de Colson Whitehead que j’ai pensé, en particulier les scènes avec les chiens). Le rapport à la mort pour Jojo, c’est son oncle Given assassiné, sa grand-mère cancéreuse et un certain Richie.

Avec Richie, on aborde un autre aspect du roman, celui des revenants et des fantômes. Quand Papy était au pénitencier il a tenté d’aider le petit Richie à supporter l’incarcération, histoire que Jojo aime se faire raconter mais dont il ne connait pas vraiment la fin, si ce n’est que Richie est mort et que ce mort vient le voir et lui parler, demander des comptes… révélés par l’épilogue. Autre fantôme, Given, qui lui apparait à Leonie quand elle est sous l’emprise de la drogue. Et puis, Mamie, qui pratique le vaudou ou quelque croyance de ce genre et en a enseigné quelques bribes à sa fille.

Je suppose que tout le monde a lu ce roman aujourd’hui mais s’il en reste qui l’ont raté comme moi hier encore, il est temps de vous y mettre. Je n’ai évoqué que quelques points de l’intrigue et même de tous les sujets abordés par l’écrivaine mais vous voyez déjà qu’il y a de quoi nourrir un bon bouquin. C’est très beau car très poignant, c’est l’Amérique banale et tragique, c’est poétique et magique, bref c’est un roman absolument remarquable.   

 « Il dit ça si facilement. Fiston. Il a passé un bras sur le dossier du siège conducteur, la main autour de la nuque de Leonie qu’il masse, qu’il serre doucement. Ca ressemble un peu à la manière qu’avait Mamie de me garde par le cou quand on allait faire les courses, à l’époque où j’étais petit et où on pouvait marcher tous les deux dans les allées de l’épicerie. Dès que je m’excitais trop, par exemple quand je voyais les bonbons près de la caisse, elle serrait ; pas trop fort. Juste assez pour me rappeler qu’on était dans un magasin, au milieu d’un paquet de blancs, et que je devais bien me tenir. Et puis elle me suivait, m’accompagnait, m’aimait. Elle était là. »

jesmyn wardJesmyn Ward   Le Chant des revenants   Belfond – 268 pages –

Traduit de l’américain par Charles Recoursé


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