Derrière "Les passantes" de Michèle Gazier, Esther

Michèle Gazier. (c) Pascal Vienot.


Passeuse de la littérature espagnole qu'elle a largement contribué à faire connaître en français grâce à ses traductions d'auteurs espagnols marquants, Manuel Vasquez Montalban par exemple, ancienne critique littéraire aux rédactions de "Libération" et de "Télérama", éditrice aux Editions des Busclats qu'elle a cofondées en 2010 avec Marie-Claude Char, essayiste réfléchissant à la littérature, Michèle Gazier est aussi une formidable romancière, près d'une trentaine de titres, à la jolie voix. Une voix fluette dans le grand barouf du monde de l'édition, mais une voix précieuse et juste qui récompense merveilleusement ses lecteurs (lire ici). 
"Les passantes", le nouveau roman de Michèle Gazier (Mercure de France, 176 pages), est un livre merveilleux et bouleversant dont les protagonistes sont les quatre infirmières et l'infirmier d'un cabinet médical à Montpellier. Les passantes sont ces femmes en grande majorité qui vont de logement en logement, soigner, écouter, apaiser quand c'est possible. Apporter un peu de chaleur humaine. Des infirmières, sans lien avec la crise sanitaire que nous vivons mais en résonnance, comme souvent chez la romancière, avec des événements personnels. Surtout que le sujet de ce roman choral n'est pas uniquement là.
"La fréquentation quotidienne de femmes infirmières à domicile avec lesquelles j'échange beaucoup ", m'écrit Michèle Gazier, "m'a donné envie de parler d'elles. Quant au personnage d'Esther, c'est une autre histoire, un autre temps. Conjuguer les deux m'a semblé une manière possible d'évoquer les unes et l'autre."
"Les passantes" proposent les voix successives et en alternance de Madeleine, la responsable du cabinet médical de province, Léonor qui remplace sa nièce Evelyne le temps de son congé de maternité, Lilas qui connaît Simon, le fils de Madeleine installé à Paris, sans oublier différents longs passages en italiques, moments du passé racontant une histoire que veulent oublier ceux qui la connaissent et la découvrir ceux qui l'ignorent. Car tous sentent que ces mystères sont au centre du mal être d'une de leurs nouvelles patientes, une sexagénaire diabétique arrivée depuis peu en ville.
Qui est cette Madame Prat? Esther est-il son vrai prénom? D'où vient-elle? Que cache-t-elle? Que sait-elle? Michèle Gazier nous entraîne dans un puzzle vertigineux, un écheveau bien serré dont elle tire successivement les brins avec une dextérité littéraire extrême et une empathie magnifique pour ses personnages. "Les passantes" est une histoire tragique déchirante, splendidement contée par ces quatre voix dont celle d'un mystérieux dossier qui arrive par la poste. Une enquête sur un destin hors du commun et douloureux, des interrogations sur ce qui peut nous bouleverser chez une personne qu'on ne connaît pas, sur les attirances et les antipathies naturelles. La romancière nous fait partager ses personnages, Esther bien sûr et le quotidien, les rêves et les détresses de ses passantes, témoins obligés de ce que l'humanité a de meilleur et de pire. De son écriture précise, elle dissèque jusqu'à la finale poignante ces femmes et ces hommes embarqués par hasard dans une tragédie d'hier qui a encore des répercussions aujourd'hui et qui les incite à s'interroger sur eux-mêmes, tout comme le lecteur. Ai-je besoin d'être aimé(e)?

Pour lire en ligne le début des "Passantes", c'est ici.


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