La Horde du Contrevent - Alain Damasio


La Horde du Contrevent - Alain Damasio La Horde du Contrevent, Alain Damasio
Editeur : Folio SFNombre de pages : 703
Résumé : Un groupe d'élite, formé dès l'enfance à faire face, part des confins d'une terre féroce, saignée de rafales, pour aller chercher l'origine du vent. Ils sont vingt-trois, un bloc, un nœud de courage : la Horde. Ils sont pilier, ailier, traceur, aéromaître et géomaître, feuleuse et sourcière, troubadour et scribe. Ils traversent leur monde debout, à pied, en quête d'un Extrême-Amont qui fuit devant eux comme un horizon fou.
- Un petit extrait -
« Qu'importe où nous allons, honnêtement. Je ne le cache pas. De moins en moins. Qu'importe ce qu'il y a au bout. Ce qui vaut, ce qui restera n'est pas le nombre de cols de haute altitude que nous passerons vivants. N'est pas l'emplacement où nous finirons par planter notre oriflamme, au milieu d'un champ de neige ou au sommet d'un dernier pic dont on ne pourra plus jamais redescendre. N'est plus de savoir combien de kilomètres en amont du drapeau de nos parents nous nous écroulerons ! Je m'en fiche ! Ce qui restera est une certaine qualité d'amitié, architecturée par l'estime. Et brodée des quelques rires, des quelques éclats de courage ou de génie qu'on aura su s'offrir les uns aux autres. Pour tout ça, les filles et les gars, je vous dis merci. Merci. »

- Mon avis sur le livre -
Certains livres ont plusieurs histoires : celle, bien sûr, qu’ils abritent au cœur de leurs pages, celle qui vit à travers l’encre couchée sur le papier … mais aussi, celle de l’objet en lui-même, du chemin qu’il a fait pour atterrir sur nos étagères, dans nos vies. La Horde du Contrevent fait partie de ces livres : il a, avant tout, une histoire sentimentale. C’était dans le cadre d’un Secret Santa sur un jeu en ligne, on devait chacun trouver un petit cadeau pour notre protégé … De base, c’était plutôt des cadeaux « virtuels », sur le jeu en question. Mais non, moi j’ai eu la surprise de recevoir un petit quelque chose dans ma boite aux lettres. Et ce petit quelque chose était un livre. De science-fiction. Qui me faisait de l’œil depuis des mois. Bref, mon petit Dragon de l’espace, si par hasard tu lis cet article, sache que même si j’ai mis plus d’une année avant de m’y mettre (parce que bon, un pavé de ce gabarit, il faut trouver le courage de s’y plonger), tu m’as fait l’un des plus beaux cadeaux de ma vie … Parce que, autant le dire dès maintenant, ce livre, je l’ai tout simplement adoré !
Cela fait des dizaines d’années que la 34èmeHorde a quitté l’Extrême-Aval pour contrer, jour après jour, mètre après mètre, l’infatigable Vent qui balaye tout sur son passage. Comme leurs parents, grands-parents et aïeuls avant eux, ils sont entrainés depuis leur plus jeune enfance et ont pour mission de progresser toujours plus vers l’Extrême-Amont, là où se forment les bourrasques, les brises et les tempêtes, là où nul n’a encore jamais réussi à se rendre. Ils sont vingt-trois, et ne forment qu’une seule entité, muée par une seule force : contrer. Coute que coute. Envers et contre tout. Ils sont aéromètre, traceur, sourcière, scribe, troubadour, fauconnier, soigneuse … Ils sont vingt-trois et ne dépendent de rien ni de personne pour avancer hormis d’eux-mêmes. Tout leur être est tourné vers cet Extrême-Amont qui les nargue au bout du chemin, un chemin qu’ils tracent eux-mêmes à chaque pas, un chemin qui semble ne pas avoir de fin. Mais ils contrent, encore et toujours, sans faillir, sans défaillir, car ils ne peuvent se le permettre : leurs traineaux sont remplis de vœux, confiés par ceux qu’ils croisent pour qu’ils les confient à l’Extrême-Amont, et sur leurs épaules reposent cette tâche de découvrir l’origine du vent.
Difficile de vous parler de ce livre qui ne ressemble à aucun autre … Car, plus que n’importe quel autre, c’est un livre qui se vit plus qu’il ne se lit. Vous ne pouvez pas vous contentez de le lire comme vous liriez un quelconque récit de science-fiction ou d’aventure … car, indiscutablement, La Horde du Contrevent est bien plus qu’un simple récit de science-fiction ou d’aventure. Alors bien sûr, il y a, comme fil rouge, l’histoire de cette Horde, de ces vingt-trois individus qui progressent dans leur quête, dans leur voyage, dans leur lutte. Il y a les épreuves et les embûches qui se dressent sur leur chemin, qui parsèment l’intrigue de ces nœuds essentiels à tout récit d’aventure. Ce livre ne serait rien sans ce fil rouge, cette histoire, qui porte et supporte tous les autres aspects de ce livre à nul autre pareil. Pour certain, cette histoire ne sera qu’un prétexte, pour d’autres, elle sera au contraire le cœur du texte. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse quant à cette question, car c’est un livre qui trouve obligatoirement un écho différent dans l’esprit et le cœur de chaque lecteur. Car, je le redis une nouvelle fois, c’est un roman qui exige beaucoup de son lecteur, qui exige une implication sans faille.
Car de la même manière que Golgoth, Sov, Orosho ou Coriolis contrent les rafales et autres coups de vent pour progresser vers l’Extrême-Amont, le lecteur va devoir contrer, lui aussi, pour progresser dans ce livre. Page après page, le lecteur devient à son tour un hordier, tandis qu’il fait progressivement la connaissance de chaque protagoniste, tandis qu’il découvre progressivement la rudesse de ce monde dévasté par les vents incessants. Pour cela, le lecteur n’a d’autre choix que de s’accrocher, pour tenter de reconnaitre chaque personnage à sa seule façon de parler, de raconter, de penser. Car c’est bien là tout le génie de Damasio, qui a réussi l’incroyable pari de donner une voix différente à chacun de ces personnages : le style dansant et ondoyant de Caracole ne ressemble nullement à la rudesse quelque peu grossière qui habite les phrases de Golgoth. Jamais je n’ai vu un auteur manier les mots avaient autant d’audace et de finesse : il semblerait que Damasio joue avec le langage comme les oiseaux jouent avec le vent. Je suis tout simplement impressionnée par sa maitrise du rythme et des sonorités. Bien plus qu’une simple aventure, c’est une véritable expérience littéraire que ce maitre des mots nous invite à vivre.
Mais il y a plus encore, comme si ce n’était pas suffisant. Damasio ne se contente pas de nous raconter une histoire extraordinaire par le biais d’une narration exceptionnelle. S’il n’y avait que cela, La Horde du Contrevent ne serait qu’un bon livre au milieu d’autres bons livres : après tout, des récits originaux portés par des plus originales, il en existe d’autres – bien qu’aucun ne se hisse à ce niveau, à mon humble avis. Non, ce qui fait toute l’unicité de ce livre, ce n’est pas seulement son histoire, ce n’est pas seulement sa narration, ce n’est pas seulement non plus la combinaison des deux. Il y a un troisième élément, le plus essentiel sans doute, mais indiscutablement le plus insaisissable également. Car il faut voir au-delà. Voir ce qui se cache au-delà de l’histoire. Au-delà de cette quête de l’Extrême-Amont, de cette lutte perpétuelle contre le vent. Damasio nous offre ici un monde entier de symboles … au lecteur de faire la deuxième partie du travail et de chercher le sens profond de tout ceci. D’opérer au parallèle. Et d’en tirer toutes les conséquences. Les répercussions. Les leçons et les questionnements. Je pense qu’il me faudra plusieurs lectures pour commencer à entrevoir ne serait-ce qu’une bribe de ce que l’auteur veut nous transmettre. Et plus encore pour l’assimiler. C’est un livre exigeant, vous disais-je : le lecteur ne peut pas juste rester passif. Car ce livre l’obligera à réfléchir, sur lui-même, sur le monde, sur la vie.
En bref, vous l’aurez bien saisi, c’est un livre tout simplement remarquable, mémorable, incomparable. Avec ce livre, je découvre un auteur qui est à la fois conteur, poète et philosophe. Et je suis conquise, tout simplement. Conquise et ébahie, admirative également. Alors bien sûr, ce n’est pas un livre à mettre entre toutes les mains, car c’est un livre difficile à lire : il faut s’accrocher, persévérer. Il ne fait aucun doute que ceux qui aiment les récits bourrés d’actions et de rebondissements auront surement du mal avec la lenteur de cette quête à la limite de l’onirisme. Il ne fait aucun doute également que les plus réfractaires à la science-fiction et à la fantasy auront probablement du mal à accepter de se plonger dans cet univers hors du temps et de l’espace. De même, ceux qui ne jurent que par les romans feel-good et autres lectures-détente auront assurément du mal avec la complexité et la profondeur de ce récit. Et enfin, ceux qui sont trop rebutés par l’originalité, la nouveauté, l’étrangeté, l’excentricité, ne pourront qu’être effrayés face aux expériences littéraires auxquelles se prêtent Damasio … Pour ma part, je suis sous le charme, et j’ai bien envie de me procurer les autres livres de l’auteur !

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois