Campagne (5)

5.

Après que Maurice eut quitté la maison, Tim entreprit de ranger ses affaires. Cela fut vite fait car il n’avait quasiment rien. Il avait vendu tous ses meubles avant de quitter Paris, désirant faire table rase de sa vie d’avant. Il avait envie de changer d’air avait-il déclaré à ses amis. Pour un changement d’air, cela s’avérait radical ! Lui, Timothée Bourru, chargé en communication et marketing pour une grande marque de yaourts, le type le plus connecté de son entreprise, se retrouvait seul au fin fond de la campagne audoise.

Il avait machinalement branché tout son attirail électronique. Il tournait en rond depuis quelques minutes lorsqu’il fit quelque chose qu’il n’avait pas fait depuis des années, il fit le ménage ! Poussière, balai, il récura les moindres recoins de la maison, avec Staline sur les talons. Visiblement, les héritiers de Jules n’avaient pas eu à cœur de vider la demeure. Tim retrouva de nombreuses affaires de l’ancien habitant mais il n’osa rien toucher. La chaleur s’engouffrait par les fenêtres grandes ouvertes. Après cette séance intensive de ménage, Tim fila sous la douche. Il fit couler l’eau fraîche sur son visage et il sentit les tensions et la crasse disparaître dans les tuyaux. Maurice lui avait parlé d’un rituel chez les habitants. Été comme hiver, à 18h30 pétante, tout le monde se retrouvait à la Mairie pour boire l’apéro. Rissou l’avait incité à venir se présenter arguant que les autres comprendraient qu’il vienne les mains vides. Tim hésitait…Il n’était pas vraiment du genre à se fondre dans la foule. Il avait du bagou dans son métier mais se montrer peu sociable dans sa vie personnelle. Il disait avoir deux facettes. Très entouré à son travail, il n’avait que très peu d’ami et de famille.

Tout en s’habillant, il songea à donner des nouvelles à son entourage. Puis, passant d’une idée à une autre, il se décida à faire une liste des achats qu’il fallait qu’il fasse.

En tout premier lieu, il lui fallait une antenne télé ! Ensuite, il lui fallait un téléphone fixe. Il avait repéré une prise téléphonique dans un coin du salon. Et…si il y avait une prise téléphonique, il pouvait y avoir internet. Il fit également une liste alimentaire et envisagea l’achat d’une clim amovible. Staline grimpa sur la table et vint se frotter à la tête de Tim. Ce dernier ajouta : litière, nourriture pour chat sur sa liste de course longue comme le bras. Il recommençait lentement à reprendre espoir. Non, il n’était pas coupé du monde, il survivrait à cette épreuve et surtout il ne fallait pas qu’il oublie qu’il était ici pour tout oublier, se détendre.

Lorsque Madeleine et Rissou vinrent le chercher, Tim fut surpris de les voir si bien apprêtés. Maurice avait mis un jean et une petite chemise à manches courtes, il portait un béret et des boules de pétanque. Madeleine, quant à elle, portait une élégante robe. Elle avait remonté ses cheveux en queue de cheval et tenait une tarte qui sentait terriblement bon. Le couple regardait Tim de la tête au pied.

– Mon p’tit gars, tu pourrais faire un petit effort vestimentaire non ? On est entre nous mais quand même !

Madeleine acquiesça. Tim ne semblait pas comprendre ce qu’on lui reprochait. Le couple s’engouffra dans la maison comme un ouragan.

– Ma parole mais il fait estoufadou chez toi ! hurla Madeleine. Il faut absolument fermer les volets et les fenêtres ! Si tu veux conserver la fraîcheur, il faut bien aérer le matin et la nuit. La journée, tu fermes tout ! lui expliqua-t-elle en fermant les volets et les fenêtres. La règle d’or c’est d’ouvrir après 20h et de fermer avant 9h du matin.

Tim nota mentalement les conseils de Madeleine qui avait disparu à l’étage.

– Bon, tu n’aurais pas une petite chemise ou un polo à mettre avec ton jean ? C’est ta première rencontre avec les autres, il s’agit de faire bonne impression.

Maurice s’était assis sur le canapé pendant que Tim fonçait dans sa penderie chercher un polo un peu plus seyant. Lorsqu’il descendit, le couple le regarda d’un air approbateur. Ils se dirigèrent donc tous les trois vers la Mairie. Timothée se sentait nerveux. Une petite boule se formait dans sa gorge. Il voulait faire bonne impression, c’était plus fort que lui. Lorsqu’il arriva sur la petite place qui servait de parking et de parvis à la Mairie, il remarqua que des tables avaient été disposées à l’extérieur. Des plats étaient posés de ci de là. Les gens riaient et discutaient. Tim nota rapidement la moyenne d’âge des personnes présentes, environ cinquante ans. Les plus jeunes devaient arriver un peu plus tard. Lorsque les autres le virent, ils le saluèrent poliment. Maurice se chargea de le présenter.

– Alors, je vous présente Timothée Bourru, c’est lui qui loue la maison du vieux Jules.

Tim lança un « bonjour » hésitant et selon lui peu convaincant.

– Et bien vous vous êtes fait désirer ! On attendait plus que vous pour trinquer ! dit un homme au physique sec. Il se saisit d’un petit verre de vin blanc et dit : À nous, habitants de Glax !

– À nous ! reprirent en chœur tous les convives en levant leurs verres.

Le parisien regarda autour de lui, seulement une vingtaine de personnes était présente.

– On n’attend pas les autres ? glissa Tim à Rissou.

– Quels autres ? demanda Maurice surpris.

– Ben… Les autres quoi ?ajouta le jeune homme en désignant la poignée de personnes entrain de trinquer.

– Mais on est tous là ! dit Maurice en glissant un verre de pastis dans la main de Tim.

– Comment ça on est tous là ? la voix de Tim montait dans les aigus comme saisit d’une angoisse grandissante.

– Ben TOUS ! insista le vigneron.

Tim se sentit saisi d’un vertige. Il était venu se terrer dans un village du fin fond de la France, village qui semblait d’un autre âge et qui ne possédait qu’une vingtaine d’habitants. Pour se revigorer, il but d’un trait le pastis que lui avait servi Rissou.

– Il a une bonne descente le parigot ! fit remarquer bruyamment Gabi qui était assis dans un coin.

– Fais pas attention à lui Tim, il est jaloux comme un pou !

– Moi ? Jaloux ? Tu rigoles ou quoi ! Pffff

L’homme au physique sec pose une main apaisante sur l’épaule de Gabi.

– Excusez Gabi, Tim. Dit-il.

– Ce n’est rien, ce n’est rien…

– Je me présente, je suis Claude, le maire du village. En disant cela, il tendit une main bienveillante à Tim. Alors, jeune homme, qu’est-ce qui vous amène chez nous ? demanda-t-il.

Tim sentit les oreilles se dressaient et les conversations s’interrompirent pour entendre sa réponse. Il regarda autour de lui, désemparé par tous ces visages inconnus.

– Je… je ne sais pas trop en fait… Je suis venu pour…me…ressourcer !

Les habitants hochèrent la tête. La réponse semblait leur convenir.

– Bienvenue à Glax-sur- Minervois alors !

Claude tourna les talons et se dirigea vers une vieille dame assise sur une chaise. La vieille était élégamment vêtue et buvait un tout petit verre d’alcool. Elle était assise à côté d’une autre dame, un peu moins âgée en apparence et qui riait à gorge déployée. Une main s’abattit soudain sur l’épaule de Tim.

– Allez p’tit gars, c’est l’heure de la pétanque ! dit Rissou.

– Je ne joue pas à la pétanque, désolé…répondit Tim.

– C’est trop bien pour toi la pétanque, hein le parigot ? demanda Gabi en ramassant ses boules.

– Arrête de le faire caguer Gabi ! On a compris que t’aimais pas les gens de la capitale. Lança-t-il, puis se tournant vers Tim, il murmura. Maintenant, tu vas prendre tes couilles et tu vas lui montrer qui tu es ! Et en disant cela Maurice donna à Tim deux boules de pétanque.


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois