Payer la terre : Joe Sacco

Payer la terre : Joe Sacco Joe Sacco est parti en 2015 à la rencontre des Déné, un groupe culturel et linguistique auquel appartiennent des communautés peuplant les territoires du nord-ouest canadien depuis la nuit des temps. 45 000 personnes réparties sur une zone géographique aussi vaste que la France et l’Espagne réunies. Son but était de retracer l’histoire de ces territoires depuis l’arrivée des premiers colons et de dresser le portrait d’une communauté nomade vivant au cœur de la forêt qui a été peu à peu « civilisée » et a perdu son « indigénéïté » en subissant une politique de colonisation d’une redoutable efficacité. Sous couvert d’éducation et de modernisme, l’homme blanc s’est accaparé des territoires dont les sols regorgent de ressources naturelles en spoliant  des populations locales historiquement propriétaires de ces terres. L’extraction du pétrole, la fracturation hydraulique pour exploiter le gaz de schiste et les mines d’or et de diamants rejetant des poussières toxiques ont des effets dramatiques sur l’environnement, sans compter le désastre du réchauffement climatique.
Payer la terre : Joe Sacco Le long chapitre consacré aux « pensionnats autochtones » est le point central du reportage. Ces pensionnats, dans lesquels ont été amenés des enfants enlevés de force à leur parents pendant 150 ans jusqu’au milieu des années 90, sont un exemple effroyable de l’acculturation de masse de tout un peuple. Au final, le gouvernement fédéral n’aura cessé d’effacer pendant des décennies chez près de 150 000 enfants les fondements de leur identité. Six mille sont morts à cause des mauvais traitements et le traumatisme subi par les autres a bouleversé en profondeur les racines sociales, culturelles et patrimoniales des premières nations des territoires du nord-ouest canadien. 
Payer la terre : Joe Sacco L’auteur de Palestine souligne également les divisions politiques entre clans, la perte de la solidarité qui était jusqu’alors le moteur de la communauté, les ravages de l’alcool, les violences familiales, le taux de suicide bien plus élevé que n’importe où ailleurs au Canada ou encore la misère « entretenue » par une aide sociale qui enferme les peuples autochtones dans une dépendance vis-à-vis de l’administration et leur retire toute aspiration à l’autonomie.
Un album au propos complexe, exigeant, éclairant et surtout passionnant. Sacco est le maître du reportage en BD. Sa façon de prendre à bras le corps un sujet et de l’exploiter dans toutes ses dimensions est absolument unique. Sa rigueur associée à sa capacité à confronter les points de vue ainsi que sa volonté de mettre en avant un matériau brut mêlant faits et témoignages sans émettre le moindre jugement aboutit à un résultat d’une profondeur de réflexion inégalée, en tout cas dans un média tel que la bande dessinée.
Payer la terre de Joe Sacco. Futuropolis, 2020. 270 pages. 26,00 euros.
Payer la terre : Joe Sacco


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