Le drap blanc · Céline Huyghebaert

Le drap blanc · Céline Huyghebaert

Ce drap blanc, je l'ai lu d'une traite, en même temps que Maud. Une petite lecture commune, à quelques jours d 'intervalle.

La dernière fois que j'ai lu un récit aussi bouleversant sur la mort du père, c'était en compagnie de Paul Auster et de son Invention de la solitude . Ça fait tout un bail.

Le drap blanc · Céline Huyghebaert

Le drap blanc n'est ni un roman, ni un récit, ni une autofiction à proprement parler. Difficile d'accoler une étiquette à cet ouvrage. Parlons plutôt d'un journal de bord kaléidoscopique. Au gré des pages, Céline Huyghebaert remonte le temps, désosse le passé, revisite la généalogie familiale, déterre des documents, fait des entrevues, scrute des photos... En disséquant la vie de son père, homme absent et taciturne, elle lui redonne vie. Cette narration décomplexée et ces mots, d 'une introspection fine, ' ont touchée en plein coeur. Un seul reproche grandement excusable: quelques longueurs et une vague impression de tourner en rond sur la fin.

[...] Le téléphone n'arrête pas de sonner, mais je ne réponds pas. Je pense à mon père. Je pense qu'on peut se lever tous les matins, travailler, manger, parler, sourire, et être mort quand même. Le téléphone sonne. Je me dis que c'est ce qui a tué mon père: le quotidien qui s'effrite, les yeux qui cherchent par la fenêtre, les caresses à l'eau de Javel, et bientôt on parle sans s'écouter, de ta journée et de la mienne, on parle de notre agenda, avec des heures en début de phrase et une liste d'activités; ou peut-être que ce n'est pas du tout ça. Je ne veux pas mourir comme mon père. D'avoir eu trop peur, d'avoir trop cédé. Je ne veux pas que le silence s'installe quand nous aurons vidé les mots de leur substance à force de les utiliser pour remplir nos conversations. Je ne veux pas mourir avec des regrets lourds comme une pelletée de neige mouillée.

Si ça te tente, il y a d'autres extraits Je me souviens de ce que mon père m'a dit, quelques semaines après que ma mère est partie: "Je vais lui demander de revenir." J'ai failli lui parler de bouquets de roses, de restaurants, de bals, de séances de cinéma; mais il a ajouté qu'il ne s'en sortait pas sans elle, que le linge sale s'entassait, que la maison était dégueulasse, et j'ai pensé à ce moment-là que j'espérais ne jamais être aimée comme ça, par besoin. Mais est-ce que ce n'est pas toujours un peu ça? Et est-ce qu'on sait vraiment, quand on aime, si c'est pour les bonnes raisons, et de la bonne façon?
ici.

C'était à deux doigts du coup de coeur. J'ai trouvé que bien que l'auteure parlait de son père, elle parlait de tous les gens qui l'ont connu et qui l'ont aimé ou moins aimé. J'y ai vu un peu de Autour d'elle de Sophie Bienvenu en ce sens-là. Et c'est pourquoi, pour moi, ce livre n'est pas du tout nombriliste, et peu très bien nous parler même si l'on a pas vécu ce type de deuil. Les grandes forces du livre pour moi résident dans un style qui se renouvelle et qui ne nous ennuie pas; dans la façon que l'auteure arrive à traiter des zones grises sur son père, notamment par le biais des autres personnes qui l'ont connu; et dans sa façon de mettre les mots sur des sentiments, des réflexions, des états de faits, indicibles. Il y avait une force, une subtilité, une justesse! J'excuse facilement les quelques longueurs qui ont commencé à survenir avant les 50-60 dernières pages, car tout m'a plu: le style, les personnages, la recherche de l'auteure qui nous suit tout au long du livre et comment cette quête a été transposée, a habité malecture.