Danse avec les lutins par Catherine Dufour

Danse avec les lutins par Catherine DufourEditions L’Atalante

Collection La dentelle du cygne

240 pages

Paru en 2019

Quatrième de couv’ :

« La fée haussa les épaules :
— Ces jeunes sont aussi agréables qu’une descente de moustiques. Que veux-tu qu’ils fassent de pire que brailler, tout casser, écrire des gros mots sur les murs et flanquer le feu aux charrettes ? Se mettre à descendre tout le monde en pleine rue ?
— Et ton coach sportif, demanda Pétrol’Kiwi en arrachant un étage de champignons d’un coup sec, il a des nouvelles de Figuin, de son côté ?
— Aucune. Je me demande si c’est un signe. Figuin adorait faire du sport. Il n’aimait que ça, à vrai dire.
Pétrol Kiwi se figea, champignons en main.
— S’il a renoncé au plaisir de sa vie, grogna-t-elle, je crains qu’il fasse en sorte que ça ne dure pas trop longtemps.
— Quoi ? D’arrêter le sport ?
— Ça. Ou la vie. »

Un roman de fantasy, avec des elfes, des lutins, des fées, des bourdons magiques… et des métis ogro-nains. Dans l’immense ville de Scrougne, un garçon nommé Figuin vit très mal le racisme et la misère auxquels il est confronté. C’est alors qu’entre en scène un banquier… Froid, inusable, immensément riche, il cherche à l’être plus encore. Il décide de creuser un fossé au milieu de la population, afin de jeter une moitié aux trousses de l’autre – qui lui achètera des armes au passage. Il lui faut un garçon un peu paumé à endoctriner, pour l’envoyer se faire exploser au milieu d’une fête de quartier.

Mon avis :

Et hop, une nouvelle lecture dans le cadre du Challenge S4F3s5 :

  • L’intrigue :

Sur Terre, il y avait un peu de tout puis vint le jour où Dieu et la magie partirent en laissant un carton d’hybrides et de retardataires derrière eux. Ce petit monde va coloniser la Terre et les ograins vont tirer leur épingle du jeu au détriment de tous les autres peuples. Au fur et à mesure des siècles, l’écosystème va se fragiliser, la pauvreté sera créée en même temps que la richesse et au milieu de tous ces peuples spoliés par les ograins, l’amour donnera naissance à de charmants enfants….et des ados en colère contre l’injustice sociale mais là où les adultes ont baissé les bras au fil des années pour récupérer leur territoire, leurs enfants clameront vengeance.

« – Okay, lâcha Oggam. Audace, sang-froid et sodomie de l’ordre ograin : tu es des nôtres.

Figuin ravale un « chouette » de fillette et un « seau d’eau quoi ? » de gamin. Il se contenta  d’enfler la poitrine en dévisageant les alentours d’un air avantageux.

– Regarde-les, cracha Oggam. Regarde le chaos de ce monde perverti. Tous ces maîtres ograins qui se pavanent devant leurs esclaves féeries. »

  • Notre Histoire ?

Dans la Genèse du monde de Catherine Dufour, la vie sur Terre était belle, Dieu cohabitant avec la magie, ces deux entités finirent par claquer la porte pour chercher une autre pâture plus verte laissant derrière eux une poignée d’un peu tout, anges et démons pour Dieu, petit peuple pour la magie…et les hybrides.

« Comme souvent les touristes, les créatures magiques n’étaient pas venues sur Terre pour la seule beauté du paysage, ni pour découvrir des cuisines exotiques, ni même pour le plaisir simple de conduire leur balai comme des sagouins en faisant des gestes obscènes. Les créatures magiques étaient venues sur Terre pour forniquer comme des pistons de trompette. »

On avance un peu dans le temps, qui pour nous correspondrait à l’époque des Cro-magnons, on rencontre un ograin de 16 ans qui doit passer 3 mois dans la forêt seul comme rite initiatique au passage à la vie adulte, seuls ceux qui s’en sortent vivants reviennent auprès des leurs.

Encore un bond de quelques siècles, début de la sédentarité des ograins…et début des problèmes avec le voisinage relevé par les ondines, lutins et autres nixes. Le nombre croissant d’ograins au même endroit met à mal les cultures de champignons des lutins, les ondines voient les poissons sur-pêchés, leurs marres polluées par les eaux de tannerie et les nixes relèvent que les oeufs sont tous mangés, le renouvellement des générations est mis en péril. On se rend compte à partir de là que notre société commence à être dépeinte, les ograins sont les humains de notre Terre, souffrant de stupidité écologique et le petit peuple se demandant si les ograins se rendront compte une fois tout pillé que les perles (système monétaire) ne se mangent pas.

« – Que les ograins soient de plus en plus nombreux et de plus en plus instruits, d’accord, dit Mousseron. Qu’ils fassent prendre l’air à leur double astral ou qu’ils s’entretuent, ça les occupe. Mais ils cueillent tous les champignons en ignorant la nécessité d’en laisser au moins quelques-uns pour assurer la prochaine saison. Comme si…

– Comme si leur intelligence était limitée par leur avidité, approuva Fistuline. C’est la peur de manquer, ajouta-t-elle, ce qui laissa Mousseron coite comme un cèpe en pot. »

Trois siècles après le début de l’extension de la ville de Scrougne croissant sans cesse avec le nombre d’ograins, les actionnaires font la pluie et le beau temps, des mesures seront prises pour satisfaire leur besoin de bénéfices et les résultats se verront 15 ans plus tard. Le mot d’ordre : La paix menace comprendre une situation politique stable ne permet pas d’engraisser les riches (tellement dommage), les conflits leur sont nécessaires mais ne vous inquiétez pas, les conséquences ne les éclabousseront pas.

  • J’aime quand sa gratte :

Catherine Dufour fait parler les peuples brimés par les ograins, la Nature représentée par le petit peuple et les enfants, deuxième génération des peuples annexés par l’expansion colonialiste des ograins. Quand on se trouve dans la tête de Figuin on voit sa colère avec l’Histoire enseignée réécrite par les vainqueurs, le célèbre « mes ancêtres les ograins » qui remplace gaiement « gaulois » que nos colons apprenaient aux petits maoris par exemple….et à tous les autres, on est d’accord que c’est ridicule…mais on l’a fait…Cette colère sera d’ailleurs le terreau idéal recherché.

En bref, c’est un texte où Catherine Dufour nous plante chaque jalon menant au terrorisme de jeunes désoeuvrés, pas moyen de fermer les yeux sur la critique qui est faite de notre société tant elle est ressemblante à Scrougne, le tout amené avec des jeux de mots ironiques et un humour mordant. Une lecture que je recommande et qui fait réfléchir.

D’autres avis chez :

Bonne lecture !