INTERVIEW – Eric Maltaite: « J’ai hésité 20 ans avant de reprendre Choc »

INTERVIEW – Eric Maltaite: « J’ai hésité 20 ans avant de reprendre Choc »

On n’échappe pas à son destin. C’est vrai pour Monsieur Choc, l’ennemi juré de Tif et Tondu, dont on découvre dans « Les Fantômes de Knightgrave » comment et pourquoi il a fini par devenir ce criminel machiavélique au visage éternellement caché derrière un heaume médiéval. C’est vrai aussi pour Eric Maltaite, qui n’est autre que le fils de Will, le dessinateur qui créa le personnage de Choc avec le scénariste Maurice Rosy dans l’album « Tif et Tondu contre la Main Blanche », paru en 1956. Pendant très longtemps, Maltaite a rejeté l’idée de reprendre le personnage mythique créé par son père. Aujourd’hui, alors que le troisième volet de la trilogie « Les Fantômes de Knightgrave » vient de paraître aux éditions Dupuis en même temps qu’une somptueuse intégrale en noir et blanc, le dessinateur ne regrette pas une seule seconde de s’être finalement jeté à l’eau, avec la complicité du scénariste Stéphan Colman. Maltaite était d’ailleurs tout sourire il y a quelques jours, au moment de l’inauguration d’une statue de Monsieur Choc dans les rues de La Hulpe.

Quel est votre sentiment maintenant que la trilogie est achevée?

Tout d’abord, je ressens un sentiment de travail bien accompli. Généralement, les réactions que je reçois sur la série sont bonnes, donc je suis très content. Je ressens aussi un sentiment de soulagement parce que c’était quand même une grosse aventure. Au total, il aura fallu sept ans entre le moment où on a décidé de se lancer dans ce projet et la dernière page dessinée.

Vous saviez dès le départ que ça allait être une trilogie?

Ce qui est sûr, c’est qu’on a su très rapidement qu’on allait avoir besoin de 300 pages pour raconter l’histoire qu’on avait en tête. Avec tout ce que Stéphan voulait mettre dans le récit et toute la richesse des périodes traversées, il était clair qu’il nous fallait au moins ça. A un moment donné, on a essayé de caser l’histoire en 200 pages, mais on n’arrivait tout simplement pas à tout faire rentrer dedans!

INTERVIEW – Eric Maltaite: « J’ai hésité 20 ans avant de reprendre Choc »

Maintenant que cette trilogie-ci est terminée, est-ce que vous envisagez une suite possible ou est-ce que c’est vraiment la fin?

Dès le départ, notre idée était d’arrêter la série au moment où naît le personnage de Monsieur Choc. Cette boucle-là est aujourd’hui bouclée. Mais il est vrai qu’on s’est tellement amusés à raconter cette histoire que ça nous donne envie de continuer. Il est donc probable qu’on fera d’autres albums, mais ce ne seront plus des briques de 300 pages. Ce seront plutôt des albums classiques de 64 pages, toujours autour du personnage de Choc. On a déjà beaucoup d’idées, même si je ne peux évidemment pas en dire plus à ce stade.

Vous aviez hésité au moment de reprendre le personnage mythique de Choc?

Oui, j’ai hésité pendant 20 ans! (rires) C’est le temps qui s’est écoulé entre le moment où mon père a arrêté Tif et Tondu en me disant que je pouvais continuer à exploiter le personnage de Choc et le moment où j’ai finalement décidé de me lancer. Je crois que lui avait très envie de voir ce personnage vivre des nouvelles aventures, mais il y a d’abord eu d’autres projets foireux avant que celui-ci ne voie le jour. A ma connaissance, trois projets de reprise de Choc ont été refusés par Maurice Rosy. De mon côté, je me suis rendu compte à un moment donné que j’en avais fini avec l’adolescence. Je n’avais plus cette volonté absolue de me faire un prénom. C’est alors que je me suis dit « on y va » et que j’en ai parlé à mon ami Stéphan. Il a travaillé dessus pendant un petit temps et un jour, il m’a appelé pour me dire qu’il avait trouvé la bonne approche. Il m’a alors raconté toute l’histoire au téléphone pendant deux heures, du début à la fin.

Même si le personnage de Choc est mythique, il a quand même disparu des radars pendant un certain temps. Du coup, qui sont vos lecteurs aujourd’hui? Des nostalgiques de Tif et Tondu ou une nouvelle génération?

Ce qui est réjouissant, c’est qu’il y a apparemment beaucoup de nouveaux lecteurs. Pas des petits jeunes de 12 ans, bien sûr, mais je pense pouvoir dire que le lectorat de Choc va de 18 à 78 ans. Beaucoup d’entre eux ne connaissent d’ailleurs pas Tif et Tondu. Certains m’ont même dit qu’ils ne savaient pas du tout que le personnage de Choc était né dans Tif et Tondu. Ce qui est génial, c’est qu’il y en a qui finissent même par acheter des intégrales pour découvrir l’ensemble de la série.

Vos aventures de Choc peuvent donc se lire sans connaître Tif et Tondu?

Oui, absolument. Il y a quelques petites références à la série originale bien sûr, mais notre challenge était de parvenir à faire une histoire qui peut se lire toute seule. Une histoire centrée autour d’une personne qui représente le mal incarné.

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Effectivement, votre trilogie est très noire. Pourquoi ce choix?

C’est le personnage qui est noir! Personnellement, quand j’étais gamin, Choc me terrorisait. Bien sûr, tout était un peu plus light à l’époque, mais tous les éléments qui constituent le personnage de nos albums se retrouvaient déjà dans le Choc dessiné par mon père. Choc est vraiment quelqu’un de méchant. Dès le premier album, il balance Tif et Tondu par la porte d’un avion à 3.000 mètres d’altitude. Heureusement, à ce moment-là, on ne pouvait pas tuer les héros, donc ils s’en sortent en tombant dans une botte de foin. Je trouve que ça vaut vraiment la peine de relire les premiers Tif et Tondu, c’est-à-dire ceux dans lesquels Monsieur Choc apparaît. C’est un personnage de méchant très réussi parce qu’il est très effrayant. Il y a même un album où il parvient à entrer dans les rêves des gens. Ce qui est remarquable, c’est que Maurice Rosy a eu cette idée géniale vingt ans avant la création de Freddy les griffes de la nuit.

Votre idée, c’était de raconter comment quelqu’un peut devenir aussi méchant?

Oui, d’une certaine façon. Ce n’est pas une recette universelle, bien sûr, mais c’est une tentative d’explication sur comment cette personne en particulier a pu devenir un méchant gars, alors qu’il n’était pas du tout prédestiné à cela. Il a été un jour un petit garçon qui aimait sa maman et qui jouait dans les bois, innocent et frais comme la rosée. Mais petit à petit, il voit sa vie basculer vers la briganderie et puis finalement vers le mal le plus absolu.

Est-ce parce que votre histoire est trop noire que le troisième volet de la trilogie n’a pas été prépublié dans Spirou, contrairement aux deux premiers?

Effectivement, on nous a dit que c’était trop violent. C’est vrai que les deux premiers épisodes ont été publiés dans Spirou, mais à l’époque le journal n’avait pas le même rédacteur en chef. En réalité, quand on a commencé à faire Choc, on n’avait pas du tout imaginé que ça passerait dans Spirou. Du coup, on n’a pas hésité à être très durs dans certaines scènes, notamment celle qui se déroule à l’aéroport de Heathrow dans le premier tome. Quand Frédéric Niffle, le rédacteur en chef de Spirou, a insisté pour que notre série soit publiée dans le magazine, on n’a évidemment pas refusé. Mais quand Florence Mixhel est devenue rédactrice en chef, elle a trouvé que la série ne cadrait pas avec sa vision du journal. On ne peut pas lui en vouloir puisque nous-mêmes, nous n’avions pas pensé à une prépublication dans Spirou au moment de créer la série.

Dans « Les Fantômes de Knightgrave », vous apportez une attention particulière aux détails et aux décors, non?

C’est déjà ce que je faisais dans des bandes dessinées semi-réalistes comme Zambada ou 421. Mais la différence, c’est qu’à l’époque, je pouvais me permettre beaucoup de fantaisie, alors qu’avec Choc, on se situe quand même dans des événements historiques très précis et particulièrement graves puisqu’il s’agit de deux guerres mondiales et d’une dépression. On ne peut donc pas faire n’importe quoi.

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Vous vous êtes donc davantage documenté que pour vos autres BD?

Oui, on a passé beaucoup de temps à se documenter: Stéphan pour écrire l’histoire, et moi pour coller à ce qu’il demandait au niveau visuel. C’est un côté passionnant du travail. Quand on sait où chercher sur Internet, on trouve des choses absolument formidables. Je suis tombé sur certains groupes de passionnés de l’histoire de Londres, par exemple, qui m’ont livré des documents visuels incroyables. Et en plus, ils vous racontent l’histoire qui va avec. J’adore ce boulot de documentaliste.

Est-ce que vous avez été surpris par le succès de la série?

Non, pas vraiment. En tant qu’auteur, on espère toujours que ce qu’on fait va marcher. Ce qui est sûr, c’est que vu le temps qu’on a investi dedans, il valait mieux que les albums se vendent bien. Car pendant sept ans, on a quand même peu gagné notre vie.

A côté de Choc, est-ce que vous avez d’autres projets en cours?

Oui, pour le moment je termine un album avec Zidrou. C’est un one-shot philosophico-fantastique. Je l’ai entamé au milieu du troisième Choc, à un moment où Stéphan a eu des problèmes de santé. Pendant un petit temps, il n’a plus pu me fournir la suite de son scénario. Comme il fallait que je continue à bosser durant cette période, j’ai contacté José-Louis Bocquet, mon éditeur, pour voir s’il n’avait pas un autre projet dans ses cartons pour moi. C’est lui qui m’a proposé de travailler avec Zidrou, avec qui j’avais déjà collaboré il y a longtemps dans Spirou. C’est très chouette de travailler avec lui. En plus, on habite tous les deux en Espagne.

Et une reprise de Tif et Tondu, ça ne vous tente pas?

Non, pas du tout. J’ai vu mon père râler en faisant ses derniers Tif et Tondu, parce qu’il en avait ras le bol. Je n’ai donc pas envie de me mettre ça sur le dos! Par contre, j’attends avec impatience le Tif et Tondu de Blutch, qui est un auteur que j’apprécie beaucoup. Je crois que ce sera un vrai renouveau pour la série.

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