Chronique « IL FALLAIT QUE JE VOUS DISE »

Scénario & dessin de AUDE MERMILLOD

Public conseillé : Adultes,

Style : Autobiographie
Paru le 8 mai 2019 aux éditions Casterman
260 pages couleur,
22 euros
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De quoi ça parle

À Montréal, en janvier 2017, Aude Mermillod a rendez-vous avec Martin Winckler, de son vrai nom Marc Zaffran. Médecin généraliste et écrivain, il est investi contre la violence obstétricale, ainsi que praticien d’IVG. Cette rencontre est due à l’envie d’Aude de faire une bande dessinée sur sa propre expérience d’une interruption de grossesse.
L’idée est arrivée en 2016 lorsqu’une de ses amies arrive chez elle enceinte jusqu’aux yeux. Peu après, l’appel à l’écriture s’impose. Vient ensuite le désir d’y faire une place aux sentiments d’un médecin pratiquant. À la suite de son IVG, une amie lui a offert le livre de Martin Winckler “Le chœur des femmes”. Touchée par ce récit, son choix se porte sur cet homme comme une évidence. “Il fallait que je vous le dise” est donc un double récit, celui de Aude Mermillod et celui du médecin Marc Zaffran, alias Martin Winckler !

L’Histoire d’Aude

En 2011, Aude se trouve à Bruxelles. Séparée depuis trois ans de l’homme avec qui elle a passé trois ans de sa vie, elle imagine qu’il lui faudra du temps pour construire une nouvelle relation. Elle est jeune, elle croque la vie à pleine dents… Pour joindre les deux bouts, elle est serveuse dans un restaurant. Depuis un certain temps elle se sent fatiguée et a envie de manger du matin au soir. Comme elle porte un stérilet, l’idée d’être enceinte ne l’effleure même pas. Suite à l’insistance de sa colocataire, elle se résout à faire une test de grossesse. Il y a 0,6 % de chance que malgré un stérilet on tombe enceinte… et c’est sur elle que ça tombe ! Pour Aude c’est clair, elle ne peut et ne veut pas garder cet enfant. Dis comme ça, ça a l’air simple, mais même quand cela paraît évident, il y a un long chemin à faire…

Le récit de Marc

En 1974, Marc a 19 ans. Il est étudiant en médecine. C’est une période où les femmes revendiquent le droit à l’avortement. Simone Veil, alors ministre de la santé, se bat pour qu’une nouvelle loi passe et que ces femmes n’aient plus besoin de le faire clandestinement, avec tous les dangers que cela engendre. Sensibilisé depuis son enfance par sa famille, sa maman a subi une interruption de grossesse et son père, médecin, a fait partie d’un réseau clandestin qui pratiquait l’IVG.
Lors de ses études, il voit passer plusieurs femmes, dont certaines entre la vie et la mort, qui ont subi des IVG mal réalisées… En 1977, deux après que la loi Veil est votée, il écrit dans un petit carnet “un jour je ferai des IVG”.
En 1982, son diplôme en poche, Marc ouvre son cabinet de médecin généraliste. Il faudra attendre encore quelques années avant que cela prenne forme. Dans son cabinet, il écoute les femmes lui parler de leurs problèmes et ne sait pas toujours quoi leur répondre… C’est en avouant sa confusion à une amie médecin, qu’elle va, tout en douceur, l’introduire dans le milieu…

Ce que j’en pense

Pour sa deuxième bande dessinée, Aude Mermillod n’a pas pris le chemin le plus facile. Parler de l’IVG, en soit, ce n’est déjà pas facile. Mais, en plus elle choisi de parler de sa propre expérience, moi je dis “chapeau” ! Que l’on soit touché d’une manière ou d’une autre par le sujet, cette histoire ne peut pas laisser indifférent. Elle nous raconte son histoire avec beaucoup de douceur et de sensibilité. Son trait léger et les couleurs pastels utilisées y sont pour beaucoup. Mais il n’y a pas que ça. L’idée de débuter son récit avec la rencontre avec le médecin Marc Zaffran est super sympa. Cela me donne l’impression d’être assise là, avec eux, et de participer à la conversation. J’avais déjà bien aimé comme elle a découpé son premier titre “Les reflets changeants” en plusieurs chapitres. Elle y parlait de trois personnes à la dérive et les trois premiers chapitres mettaient en avant une des personne, avant de les retrouver tous ensemble. Cette fois elle a fait le même choix et cela m’est fort agréable. Après leur rencontre, il y a la partie qui lui est accordée. Je la suis, je subis et je me questionne. Qu’aurais-je fait si cela m’était arrivé ? Si le sujet n’est pas le plus drôle du monde, même si elle n’y a pas mis d’humour non plus, Aude raconte tout cela avec simplicité et pudeur et cela fait que ce n’est ni tragique, ni triste.

Important cette deuxième partie où Marc rentre en scène. L’histoire aurait eu à mes yeux moins de sens s’il n’y avait pas eu la partie médicale. Touchant, lui aussi, avec ses doutes et ses questions sans réponses. Bravo à cet homme, qui tout jeune déjà a su ce qu’il voulait faire et apporter aux femmes. Ces femmes qui sont venues auprès de lui avec tous leurs tourments et questionnements. Bravo à lui de s’être dit “je ne peux pas leur répondre, je vais donc trouver à le faire”. Ne plus les laisser seules faces à leur grande détresse et cette lourde décision…
Ce fut un grand moment de lecture. Le genre de bande dessinée que tout homme et femme devraient lire pour comprendre que dans la vie on a toujours le choix et que ce choix nous appartient. Que l’on soit seule ou en couple ! Personne ne devrait être en droit de juger. Être juste là pour écouter, encourager, guider et accompagner…