La contrée - Ben Metcalf

La contrée - Ben Metcalf Un premier roman incroyable, je n’ai pas d’autre mot. Comme un fleuve de mots en cru qui déborde de tous côtés, sans limite, incontrôlable. C’est fou, impressionnant, agaçant parfois, inutilement boursouflé souvent mais traversé de telles fulgurances qu’au final j’en suis resté sur le c…
450 pages d’un monologue ininterrompu, d’une diatribe sans fin à l’encontre du choix de vie imposé par ses parents au narrateur. Leur but ? Quitter la ville pour s’installer dans un trou à la campagne, entre la fin des années 70 et le début des années 80. Fuir le péché, revenir vers la terre nourricière, voir dans la vie campagnarde l’antidote à la déchéance urbaine. Le retour à la nature n’est qu’un vaste enfer pour l’enfant qu’il était alors. Les moustiques, les mouches, les guêpes, les serpents, les rats, les tiques, les camarades de classe qui le martyrisent dans le bus scolaire, les intempéries, la promiscuité dans une maison-taudis, tout est prétexte à la souffrance. Les corvées à effectuer sous un soleil de plomb et sous les coups de ceinture du père, la bêtise des rares autochtones, la misère sexuelle qui poussent à tous les abus ou les ravages de l’alcool, la liste des griefs est infinie.
La narration est à peu près aussi énervée que le narrateur. Phrases interminables, parenthèses enchâssées dans d’autres parenthèses, syntaxe malmenée, digressions faisant perdre le fil du propos de départ, rien n’est épargné au lecteur (et au passage impossible de ne pas souligner le formidable travail de traduction de Séverine Weiss). Mais au final le tour de force m’a ébloui. En fait j’ai l’impression de m’être attaqué à une montagne. J’ai trouvé ça pénible par moment, fatigant à d’autres, je m’y suis égaré souvent, ennuyé parfois, mais arrivé au sommet et en regardant l’ensemble avec le recul et la hauteur nécessaire, je n’ai pu que siffler d’admiration. Difficile en effet de ne pas être ébloui par la force de cet implacable réquisitoire qui, malgré les nombreux chemins de traverses qu’il emprunte, revient toujours et encore au sujet initial pour dénoncer avec force éructation cette image d’Épinal frelatée d’une Amérique ayant soit-disant construit sa grandeur sur les terres sacrées d’une nature bénie des Dieux. 
Un roman qui perdra plus d’un lecteur en route et en découragera bien d’autres, je n’en doute pas une seconde. J’ai moi-même eu du mal à aller au bout mais au final je ne regrette pas l’effort qu'il m’a demandé (et franchement le mot « effort » n’est pas exagéré) parce que je suis convaincu d’avoir découvert un texte rare, d’une liberté formelle totale, et un auteur qui signe un premier roman d’une inventivité folle et d’une excentricité absolue. De la littérature américaine exigeante et inclassable comme je n’en avais pas lu depuis Malcolm Lowry, autant dire que la barre est placé très haut.
La contrée de Ben Metcalf (traduit de l’anglais par Séverine Weiss). Post-éditions, 2019. 460 pages. 24,00 euros.


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois