sur Robert Desnos

Beaucoup connaissent Desnos ... sans toujours le savoir : ses comptines ont fait la joie des enfants : le Pélican, la Fourmi ( " Une fourmi de dix-huit mètres Avec un chapeau sur la tête, ça n'existe pas, ça n'existe pas ... "). Mais bien sûr, Desnos c'est bien plus que cela : une voix singulière, originale qui s'exprime dans une poésie aux formes multiples et aux registres les plus divers : lyrisme, souvent tragique, humour ou affleure l'insolite, ode à la fraternité humaine ...

Né en 1900, R. Desnos appartient à cette génération de grands poètes du XX° siècle : Aragon, Breton, Eluard et autres, poètes qui furent un temps ses compagnons dans la grande aventure du Surréalisme. Son enfance se passe à Paris, dans le quartier des Halles, quartier populaire s'il en est, et qui le marquera à tout jamais : apparaitront souvent dans sa poésie les rues aux noms poétiques (rue des Lavandières Sainte Opportune, rue de la Grande Truanderie, rue des Juges-Consuls ....), des quartiers (Quartier Saint Merri est le titre d'un très long poème qui évoque une divagation nocturne dans un Paris aux allures fantastiques).

Les trente premières années de sa vie se caractérisent à la fois par une vie matérielle précaire ( Desnos a quitté sa famille à 16 ans " je n'entretiendrai pas un parasite " lui a dit son père ) et un vie personnelle d'une grande richesse : une vie en poésie, comme il le dira ; il fait alors partie du groupe surréaliste où sa prodigieuse facilité à " parler poésie " comme dira Breton , à dessiner, endormi, impressionnera tous les présents " il dort, mais il écrit, il parle " (Breton) . Vie poétique, vie nocturne aussi : Desnos a le goût de la nuit et de ses fêtes : le jazz, les amis, les cafés...(C'est l'époque où Hemingway écrit : Paris est une fête !) . Ainsi, la dernière strophe de Marée Basse : Il fait bon être ceux-là /que vous entendez encore rire et s'interpeller / à l'aube quand vous vous réveillez/ gens qui dormez gens au cœur tranquille/ que l'on entend rire le jour quand il fait bon dormir.

Ce n'est qu'à 32 ans que Desnos verra sa situation matérielle s'éclaircir : grâce à un ami, il entrera à Radio Paris où très vite il va briller : adaptation d'un roman du début du siècle : la complainte de Fantômas, qui va connaître un succès prodigieux ( 73 épisodes, une centaine d'artistes, musique de Kurt Weil, alors réfugié à Paris ), émission littéraire, chansons ( la Complainte des Caleçons) et ... slogans publicitaires , pour la Loterie Nationale, le Vermifuge Lune ... Desnos en écrira une centaine !

En 1926 paraît : A la Mystérieuse, recueil douloureux sur un amour fou et non partagé :
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Loin de moi et cependant présente à ton insu,

Loin de moi et plus silencieuse encore parce que je t'imagine sans cesse

Loin de moi mon joli mirage et mon rêve éternel, tu ne peux pas savoir,

Si tu savais.

Recueil écho de l'amour désespéré de Desnos pour Yvonne George qui chantait alors au Bœuf sur le toit ; Yvonne, chanteuse réaliste, personnage tragique, violée par des officiers allemands en Belgique et qui se détruisait par la drogue et l'alcool. Subjugué par sa voix, amoureux fou, mais amoureux déçu, Desnos vivra à ses cotés presque jusqu'à sa mort :" elle aimait la compagnie des hommes et le corps des femmes ... "

Plus tard, il rencontrera Youki, femme brillante, reine des nuits parisiennes où, du Dôme à la Coupole, elle entraine une foule d'amis dans une vie tourbillonnante et folle. Cette fois encore, Desnos sera subjugué : dès 1931 ils vivront ensemble et ne se quitteront plus. Amour partagé, mais amour inquiet : " Youki dont je ne peux me passer bien qu'elle se passe facilement de moi ", car Youki se veut une femme libre et n'entend pas " sous prétexte que je suis femme, sous prétexte que tu m'aimes " ... être prisonnière !

Si tu m'aimes il faut le dire

Il faut me prouver tes émois

Il faut me prouver un délire

Mon amour parle-moi

Révolutionnaire dans l'âme, Desnos, contrairement à beaucoup de surréalistes, est longtemps resté en marge des mouvements politiques. Pourtant , devant la montée du fascisme et de l'extrême droite, il va rejoindre le Comité de Vigilance anti-fasciste après le 6 février 1934 et sa poésie deviendra plus engagée. Pendant l'Occupation, il entrera dans la Résistance, et, arrêté en 1944, il mourra du typhus un an plus tard dans le camp de concentration de Terezin (avril 1945 ).

Poésie amoureuse, Poésie de l'insolite (" Ils étaient quatre qui n'avaient plus de tête/ Quatre à qui l'on avait coupé le cou/ On les appelait les quatre sans cou . ", poésie fraternelle (" Femmes de grand air/ Femmes de plein vent/ Femmes de la nuit de l'aube et du jour ... "), à travers tous ces registres s'exprime une adhésion profonde au monde et à la vie . Dernière strophe des hommes sur la terre :

Ô vie, ô hommes, amitiés renaissante

Et tout le sang du monde circulant dans des veines

Dans des veines différentes mais des veines d'hommes,

D'hommes sur la terre.

Jacques Spiess

Samedi 23 mars 2019

Galerie Kraft de Dieulefit, à l'occasion du Mois de la Poésie