INTERVIEW – Olivier Berlion: « J’ai voulu faire un polar qui s’adresse aussi aux femmes »

INTERVIEW – Olivier Berlion: « J’ai voulu faire un polar qui s’adresse aussi aux femmes »

L’histoire démarre au début des années 30. Agata est une jeune polonaise de 19 ans qui trouve refuge chez un oncle aux Etats-Unis après un avortement clandestin dans son pays. Elle semble prête à démarrer une nouvelle vie tranquille, jusqu’à ce que son chemin croise, malgré elle, celui de Lucky Luciano, le gangster le plus puissant du pays depuis l’arrestation d’Al Capone. Signant à la fois le scénario et le dessin de cette nouvelle série, l’auteur français Olivier Berlion (« Sales Mioches », « Tony Corso », « Le Juge, la République assassinée ») se régale dans « Agata ». S’inspirant de films comme « Il était une fois en Amérique », « The Immigrant » ou « Les Incorruptibles », il met en scène avec brio le New York des années 30, au beau milieu de la grande dépression et de la prohibition. Quelques semaines après la sortie du tome 1 en librairie, nous lui avons demandé ce qui l’avait poussé à se lancer dans cette nouvelle saga.

Comment est né le personnage d’Agata?

Au départ, l’idée vient du dessinateur Olivier Wozniak. Il m’avait demandé une histoire sur les Etats-Unis dans les années 30. De mon côté, je voulais écrire un récit sur une jeune femme durant ces années-là, afin de pouvoir parler du début de l’émancipation féminine. Comme Olivier est d’origine polonaise, je me suis intéressé à la Pologne et j’ai découvert que l’avortement y était passible d’emprisonnement à cette époque, y compris pour celles qui avortaient. L’histoire est partie comme ça. Après, Olivier Wozniak n’a malheureusement pas pu la dessiner pour des raisons professionnelles et personnelles. C’est comme ça que je me suis retrouvé à la dessiner moi-même. Au final, je trouve que c’est plutôt une bonne chose parce que plus j’écrivais l’histoire, plus j’avais envie de la dessiner.

Est-ce que vous avez changé un peu le scénario quand vous avez su que c’était vous qui alliez le dessiner?

Oui, j’ai apporté quelques changements. Je me suis notamment permis de faire plus de pages que ce qui était prévu dans le scénario initial. A la base, c’était du 54 pages bien classique. Mais dans la mesure où j’étais à la fois le dessinateur et le scénariste, j’ai pris la liberté d’ajouter une vingtaine de pages en plus. Cela m’a permis d’insérer certaines scènes supplémentaires, d’en allonger d’autres et aussi de dessiner quelques grandes images qui, à la base, n’étaient pas prévues dans le scénario.

Comment vous est venue l’idée de mettre un gangster comme Lucky Luciano sur la route de votre Agata?

Il y a eu deux points de rencontre. Le premier, c’est un élément que j’ai découvert en m’intéressant à ce fameux syndicat du crime dont faisait partie Lucky Luciano. A la fin de la prohibition en 1933, ces gangsters ont décidé de se lancer dans des affaires légales pour continuer à gagner de l’argent malgré la fin de cette manne financière facile. Ils ont notamment répondu à un appel d’offres pour construire une digue dans le New Jersey. Comme dans la BD, il y a alors réellement eu une famille polonaise de cimentiers qui a résisté aux tentatives d’intimidation de Lucky Luciano et de ses hommes. Les gangsters ont même enlevé le gosse du patron. Du coup, les Polonais ont fini par céder sur tout. L’autre point de connexion vient d’une déclaration de Lucky Luciano. Il disait souvent que s’il avait réussi dans le business, c’est parce qu’il ne s’était pas encombré d’une histoire sentimentale, contrairement à certains de ses comparses. Etant donné qu’il s’est finalement fait arrêter en 1936, je me suis dit qu’il avait forcément dû avoir un moment de faiblesse.

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Pouvez-vous déjà lever un coin du voile sur ce qui va se passer dans le tome 2?

Dans le deuxième épisode, Lucky Luciano va se retrouver bien embêté. Etant donné que sa règle est de ne tuer personne en-dehors du crime organisé, il ne saura pas très bien quoi faire de cette Agata que ses hommes ont ramenée. En plus de ça, il va se rendre compte que cette femme ne le laisse pas indifférent. La seule chose qui est sûre, c’est qu’il va devoir garder Agata en otage, ne serait-ce que pour s’assurer que les Polonais tiennent leurs engagements et ne portent pas plainte. Comme il connaît tout Broadway et qu’il sait qu’Agata est une chanteuse, il va donc lui proposer de lancer sa carrière.

Est-ce que tout est déjà écrit ou votre scénario évolue-t-il encore au fur et à mesure de la réalisation des albums?

L’histoire est totalement écrite. Bien sûr, j’aurai sans doute envie de renforcer certains personnages ou de modifier l’un ou l’autre détail, mais je sais déjà comment elle se termine. Et puis de toute façon, elle est cadrée par les événements historiques réels. L’arrestation et le procès de Lucky Luciano, par exemple, sont des repères temporels obligatoires. Je me dois donc de les respecter.

Est-ce que vous croyez, comme Lucky Luciano, que tout peut s’acheter, à condition d’y mettre le prix?

Le principe de mon histoire est justement de montrer qu’il y a des limites à cette règle. Il y a des gens qui ont des limites. C’est le cas d’Agata, par exemple.

Est-ce qu’on peut dire que votre histoire est une sorte d’opposition entre le bien et le mal?

Ce n’est pas aussi simple que ça, mais on peut effectivement dire que c’est l’intégrité contre la corruption. C’est comme en politique. Il y a des gens qui restent intègres toute leur vie, quitte à ne pas faire carrière, et il y en a d’autres qui cèdent. Ce n’est pas une question de bien ou de mal, c’est juste qu’il y a des gens qui veulent rester fidèles à eux-mêmes et d’autres qui sont prêts à abandonner une partie de ce qu’ils croyaient être.

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L’Amérique des années 30, c’est une période qui vous fascine?

Il y a quelques années, j’avais déjà fait une BD sur cette époque, qui s’appelait « Le Kid de l’Oklahoma ». Déjà à l’époque, je m’étais dit que j’avais envie de retourner un jour sur ce terrain. En plus, il se trouve que j’étais en train de regarder la série « Boardwalk Empire » quand Olivier Wozniak m’a parlé de son idée. Je suis également un grand fan du film « Il était une fois en Amérique ». Mais cela ne veut pas dire que j’ai essayé d’imiter cet univers. J’ai vraiment voulu faire un truc différent de la série et du film, notamment en choisissant de raconter cette époque sous l’angle d’une femme, ce qui est très peu fréquent dans les histoires de gangsters.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette période?

Graphiquement, j’aime ce mélange de western et de modernité. Les belles voitures, les beaux costumes. Il y a une vraie richesse visuelle, une certaine forme d’élégance. Forcément, les années 30 résonnent aussi par rapport à notre époque actuelle. Le krach de 1929 fait penser à celui de 2008. Déjà à l’époque, il y avait aussi beaucoup de corruption et de voyous dans les cercles du pouvoir. On croit découvrir des choses aujourd’hui, mais on se rend compte que ces choses existaient déjà il y a près de 100 ans.

Quelles ont été vos autres sources d’inspiration pour cet album?

La référence de base, c’est le livre testament de Lucky Luciano, qu’il a dicté lorsqu’il s’est retrouvé exilé à Naples à la fin de sa vie. C’est un récit qui ne correspond pas forcément tout à fait à la réalité, mais c’est sa version des faits. Je me suis également basé sur un autre bouquin qui s’appelle « Le gang des rêves » de Luca Di Fulvio, qui se déroule exactement à la même époque et qui est absolument génial.

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Parfois vous faites le scénario et le dessin de vos BD, d’autres fois vous collaborez avec d’autres. Qu’est-ce qui détermine votre choix?

A la base, si j’ai choisi de faire des collaborations avec des scénaristes, c’est parce que mes propres scénarios n’étaient pas encore au point. Cela m’a donné la chance de rencontrer Corbeyran. En travaillant avec lui, j’ai pu apprendre le métier de scénariste. Aujourd’hui, lorsque j’imagine une histoire, je dois bien reconnaître qu’il y en a certaines que j’ai envie de dessiner et d’autres que je n’ai tout simplement pas envie de mettre en images. Je préfère donc les proposer à quelqu’un d’autre. Les envies scénaristiques ou dramatiques ne sont pas forcément les mêmes que les envies esthétiques, voire même que les capacités. Dans la série « L’art du crime », par exemple, il y a certaines parties qui se passent dans la Grèce Antique. Honnêtement, je ne pense pas que je serais capable de faire du péplum.

Est-ce que vous travaillez aussi sur d’autres projets?

Oui, je suis sur un autre projet pour le moment, mais je ne peux pas encore vraiment en parler. Je travaille dessus en même temps que sur le prochain « Agata ». Travailler sur deux projets en parallèle permet d’éviter l’ennui, mais ça permet surtout de réduire les risques inhérents au métier d’auteur de bande dessinée. Si jamais « Agata » ne marche pas, par exemple, je ne cours pas le risque de me retrouver sur la paille du jour au lendemain. Heureusement, l’accueil du premier épisode paraît être plutôt bon. Les premières séances de dédicace me montrent que j’ai un nouveau public, plus féminin. Cela me fait très plaisir. C’était d’ailleurs un peu l’objectif de ce polar sentimental, qui se focalise davantage sur la psychologie des personnages. Avant de me lancer, j’ai d’ailleurs fait lire le story-board à mes filles, qui ont 17 et 20 ans, pour m’assurer que ça leur plaise. Je voulais qu’elles soient intéressées par cette histoire. Je ne voulais pas faire un polar pur et dur, juste pour les mecs.

C’est pour cette raison que vous avez choisi de mettre votre héroïne en valeur sur la couverture de l’album?

Au départ, c’était effectivement ce que j’avais prévu. Mais ensuite, mon projet n’a pas été retenu par l’éditeur. Finalement, ce sont des représentants commerciaux qui ont signalé que la couverture ne faisait pas suffisamment polar. Pour corriger le tir, j’ai donc passé un week-end dessus et j’ai fait quelque chose de plus cinématographique. Le résultat final est convaincant, mais ça s’est fait in extremis.

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