Retour à Killybegs

Chronique « Retour à Killybegs »

Scénario et dessin de PIERRE ALARY, d’après le roman de SORJ CHALANDON

Public conseillé : Grands adolescents / Adultes

Style : Chronique sociale
Paru le 13 février 2019 aux éditions Rue de Sèvres
160 pages couleurs
20 euros
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Ça commence comme ça…


4 avril 2007. Un vieil homme écrit à la table d’un pub irlandais. Il écrit pour témoigner, pas avouer, ni même s’expliquer. Après avoir bu sa bière à la table de son père, il rentre chez lui et s’endort soulagé et inquiet.
1921, son père Pat était Volunteer, un soldat de l’IRA. Capturé et torturé par les britanniques, il a commencé à boire, à frappe ses enfants… EN 1925, Tyrone fut son 4eme fils. Malgré son aigreur, sa violence, Tyrone adorait ce père, héros, buveur et chanteur que les autres hommes respectaient…
Décembre 1940, Pat Meehan meurt, des cailloux dans les poches et le visage écrasé sur le givre… Pour fuir la misère, sa veuve accepte l’offre de son frère Lawrence Finnegan. Avec ses enfants, elle quitte Killybegs, traverse la frontière pour s’installer à Belfast

Ce que j’en pense


C’est la deuxième fois que Pierre Alary, dessinateur prolifique de “Silas Corey”, “Moby Dick”, “Belladone” et “Conan le Cimmérien”… adapte un roman de Sorj Chalandon. Précédemment, avec “Mon traître” aux éditions “Rue de Sèvres”, il avait déjà fait parler de lui.

Une nouvelle fois, Pierre nous embarque dans la guerre fraternelle entre irlandais catholiques et anglais protestants. C’est à travers les yeux et la vie difficile de Tyrone Meehan, un jeune irlandais pur souche que nous découvrons le quotidien haineux qui l’accompagne.
Après la mort de son père, “héros” de l’IRA, Tyrone part de son petit village de Killybegs pour vivre avec sa mère et ses frères et soeurs à Belfast. Adolescent, il découvre la violence et la haine que leur vouent les britanniques, les brimades quotidiennes, les humiliations… Vivant confinés dans un ghetto irlandais, “protégé” par l’IRA, c’est tout naturellement qu’il va apprendre à haïr ses “ennemis héréditaires”. D’ailleurs, il s’agit plus d’une guerre entre irlandais et anglais, qu’entre “papistes” et “protestants”….
Des premiers engagements des Fianna (les jeunesses de l’armée de libération républicaine), en passant par la prison aux combats de rues, nous suivons son parcours qui destine ce jeune homme à devenir un guerrier de l’IRA jusqu’au boutiste, un “héros”, prêt à tuer pour son peuple, ou plus certainement par une haine ancrée depuis des siècles….

Au delà du témoignage terrible raconté sans fioriture, ni jugement de valeur, c’est aussi une histoire pas comme les autres, car cet homme est un traître ! Qu’est ce qui justifie ce jugement ? Qu’est ce qui se cache derrière ces mots ? Comment en est-il arrivé là ? Ce sont les questions que soulèvent cette magnifique adaptation.

Chapitres après chapitre, (quelques pages à chaque fois), le récit nous balade de flash-back en flash-back. De Killybegs, en 2006, à Belfast, à partir de 1946, nous assistons aux épisodes de cette vie de combats, et assistons, en témoin privilégié, à ce qui va faire basculer sa vie… Dans un combat de rue, Tyrone tue accidentellement un de ses camarades. Ce dernier devient “martyr” et lui “héros”… Cet accident va le poursuivre, l’amenant à pactiser avec l’ennemis… et devenir d’une certaine manière l’artisan de la paix

Avec cette très belle adaptation, Pierre Alary ne fait pas que nous plonger dans la guerre civile irlandaise. Il nous interroge sur la place de la haine (et de la paix) dans nos coeurs…

Comme à son habitude, Pierre nous offre un dessin semi-réaliste particulièrement expressif. Même si je ne l’attendait pas dans ce registre, le résultat est tout en émotions. Il faut dire qu’il maîtrise, le gars. Aussi bien dans les gueules, que dans le langage corporel, tout est juste, précis.
Que ce soit dans des scènes intimistes dénudées de décors ou dans des scènes de baston généralisées, rien n’est laissé au hasard, tout est d’une lisibilité maximale. Il nous ferait presque croire que c’est facile…
Dans l’ensemble, la composition est assez classique, mais Pierre se permet des effets de zoom et de dezoom (cinématographiques) des cases en ouvrant ou fermant un chapitre. Enfin, la couleur, posée par grands aplats en camaïeux renforce l’effet “documentaire” de ce beau one-shot.

Alors, envie d’en savoir plus sur la “logique” de l’IRA, et surtout comment ils en sont sortis ? Cette adaptation de Chalandon ne vous laissera pas de marbre.


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