Dérapage de métro-boulot-dodo

Dérapage de métro-boulot-dodo

Ted, drôle de coco (Emilie Gleason – Editions Atrabile)

Tous les jours, Ted suit exactement le même rituel. Il se lève dès que le réveil sonne, met sa chemise du jour (chaque jour de la semaine est associé à une couleur différente), souffle dans les toilettes pour enlever les bulles de savon à la surface de l’eau, puis avale d’une traite un grand bol de céréales. Une fois sorti de chez lui, il prend le métro, en prenant soin de s’asseoir toujours exactement à la même place, et se rend à son travail, dans une bibliothèque. Chaque jour, Ted prend sa pause déjeuner à midi pile. Il traverse alors la rue à toute vitesse pour rejoindre le fast food situé en face et commande un « tripol tcheeze bécon sauce mayo extra fritos et un coca ». Là aussi, il s’assied toujours au même endroit. Si quelqu’un a la mauvaise idée de se trouver sur sa chaise à ce moment-là, il lui demande de partir, ce qui lui vaut parfois des ennuis. Ted ne prend jamais de jours de congé: pas question pour lui de modifier son immuable métro-boulot-dodo. On comprend pourquoi lorsqu’un matin, la mécanique se grippe. Quand Ted, ce grand dadais aux bras et aux jambes interminables, découvre avec horreur que la ligne 4, celle qu’il emprunte tous les jours, est en travaux pour deux semaines, son cerveau programmé comme une horloge suisse ne supporte pas ce bug inattendu. Pendant plus de 3 heures, il reste immobile, à contempler sa montre. Heureusement, une gentille petite vieille vole à son secours, mais pour Ted, les ennuis ne font que commencer. Ah, si seulement cette maudite ligne 4 n’avait pas été en travaux…

Dérapage de métro-boulot-dodo

Que ce soit dans « Rain man », « The Big Bang Theory » ou « Millenium », le syndrome d’Asperger a souvent été utilisé dans la fiction. Mais jusqu’à présent, personne n’en avait parlé comme le fait Emilie Gleason dans « Ted, drôle de coco ». S’inspirant de l’expérience de son propre frère, lui aussi diagnostiqué Asperger, la jeune autrice belgo-mexicaine imagine le personnage très attachant de Ted, un « drôle de coco » pour qui rien n’est évident à assimiler, que ce soit l’humour, l’amour, le sexe, mais aussi et surtout l’imprévu. Pour un personnage comme Ted, la moindre petite anomalie peut se transformer en une énorme source de stress. Si les toilettes ne sont pas exactement comme il les voudrait, par exemple, il n’est pas question pour lui d’y faire pipi. Dans un premier temps, on sourit devant ce personnage dégingandé qui semble toujours complètement à côté de la plaque. Mais au fur et à mesure, on découvre à quel point il est difficile d’affronter le monde chaque jour quand on est diagnostiqué Asperger. On se rend compte aussi que les personnes comme Ted sont souvent mal prises en charge et mal comprises, y compris par leur propre famille. Forcément, l’autrice sait de quoi elle parle. Mais la force de cette BD réside avant tout dans le fait qu’elle ne cherche pas à être un simple témoignage de plus sur le syndrome d’Asperger. Grâce à un récit mené tambour battant et à des planches qui débordent de couleurs et d’énergie, Emilie Gleason parvient à nous immerger totalement dans l’esprit de Ted. C’est ce qui fait de son « Ted, drôle de coco » un livre fascinant et survolté, qu’on lit d’une seule traite. En réalité, cette BD est une vraie expérience de lecture… dont on ne ressort pas tout à fait indemne.


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois