Florida

Chronique « FLORIDA »

Scénario & dessin de JEAN DYTAR

Genre : Chronique Historique

Public : Adolescents / Adultes
Paru le 2 mai 2018 aux éditions Delcourt
266 pages, 29,95 euros

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Ça commence comme ça…

Fin du XVIe siècle, le peintre Jacques Le Moyne s’est installé en Angleterre, pour fuir les persécutions réservées aux Huguenots dans son pays natal. Walter Raleigh, un ami protestant, vient le visiter à son atelier, où il vit avec sa famille. Ce dernier leur apprend que les protestants ont été massacrés durant la Nuit de la Saint-Barthélémy à Paris !
La nuit, sa femme Eléonore se remémore un souvenirs de sa jeunesse. Elle observait les cartes du fameux cartographe Guillaume le Testu, dans l’atelier paternel.
10 ans plus tard, Jacques est de plus en plus retiré dans son atelier. Eléonore croise de nouveau Walter Raleigh. Ce dernier a mené des expéditions sur le continent américain et invite Jacques et sa femme à se rendre à une de ses soirées. Son intérêt est professionnel, car il sait que dans sa jeunesse française, Jacques a participé à une expédition en Floride et son expérience serait très utile à ses projets…

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Ce que j’en pense

Peut-être avez-vous déjà apprécié le travail de Jean Dytar ? Avec “La Vision de Bachus”, son précédent album, cet auteur complet (scénario et dessin) traitait des techniques des peintres de la Renaissance. “Florida” est son nouveau travail de titan (266 pages, comprenant des appendices historiques, des reproductions de livres anciens…), qui nous conduit à la fin du 16e siècle. Cette époque particulièrement tourmentée est celle du combat religieux et historique entre catholicisme et protestantisme en Europe.
Nous y suivons Jacques Le Moyne, un simple peintre français protestant, d’âge moyen, qui s’est installé en Angleterre avec sa famille. Mais ce “père tranquille” cache un lourd secret. Il a été le témoin privilégié et l’acteur d’une tentative de colonisation française des côtes de l’Amérique en 1562, sous le commandement de l’Amiral de Coligny. Après la colonie brésilienne, ce fut la deuxième expédition montée pour s’installer en “Florida”.
Pour Jacques, le sujet est tellement sensible et douloureux qu’il s’entête à n’en rien dire. A force de tendresse et de compassion, Eléonore, sa femme, va finir par entendre son histoire. Comme elle, nous, simples lecteurs, découvrons, bout par bouts, ce récit étonnant qui nous emmène dans le quotidien de l’expédition coloniale.

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Simplement et sobrement, Jean Dytar nous fait vivre de l’intérieur cette tentative malheureuse. Tout est précis, détaillé, mais simple à la fois. De façon factuelle, Jacques raconte la peur du début, la construction du fort, la rencontre avec les autochtones, l’organisation de la vie sur place… Puis, comment, petit à petit, la tentative échoua jusqu’au drame final… Mauvaises conditions météorologiques, mauvais choix politiques avec les tributs indiennes, mauvais endroit pour s’installer et guerre avec l’Espagne, il détaille le drame…

Dans ce terrible récit, le jeune Jacques est le seul qui s’en sort momentanément. Engagé en qualité de cartographe à l’origine, il devient le dessinateur officiel de l’expédition, croquant les indiens, la faune et la flore, car tout est nouveau et étrange pour ces européens. Malheureusement, l’extase s’arrête quand les conditions de vie dégénèrent, jusqu’au drame personnel (je n’en dirais pas plus) qui attend cet “homme de l’art”

Avec “Florida”, Jean Dytar fait un beau travail de reconstitution, sur un sujet particulièrement complexe. A travers le voyage de Jacques Le Moyne, il aborde les conflits géopolitiques de l’époque (les royaumes d’Espagne, de france et d’Angleterre) qui s’affrontent pour prendre possession de cette nouvelle terre d’abondance. Il parle aussi de religions qui s’affrontent, dans de grands bains de sang, sans se limiter à une vision manichéenne. Surtout, il choisit le regard de cet homme brisé et de sa femme amoureuse, pour raconter cette grande aventure, sans chichi, ni envolée romantique. J’ai retrouvé un peu l’émotion que j’avais trouvé dans le film “Le Nouveau Monde” (2006 de Terrence Malick). D’une certaine façon, au delà du documentaire reconstitué, il trace une “carte de l’âme humaine”..
Enfin, Jean Dytar, aussi érudit en Histoire qu‘en Histoire de l’art, nous interroge sur l’importance de l’image.

Au dessin, Il a choisi une composition extrêmement sobre. 3 strips et 9 cases composent une page, avec des variations du nombre de cases au sein d’un strip, ni plus, ni moins.
Les cases du récit contemporain (Jacques vieux) sont composés d’un lavis marron, cerné d’un très léger. Cela lui donne une présence « tranquille”.
Les flash-backs (le voyage) sont traités avec différents jus de couleurs (bleus, vert..), sans contours. Ils semblent évanescents, moins précis, comme un souvenirs…
Enfin, sur toutes les cases du flash-back, une trame de traits légers apparaît. Cela peut évoquer les traits de construction d’une carte ancienne… L’effet est d’autant plus étonnant que cette trame peut servir, ponctuellement, d’emporte-pièce…

Alors, envie d’apprendre l’histoire de la colonisation de l’Amérique par la France ? Envie de suivre un drame humain intelligent et subtil, qui nous fait réfléchir à la puissance de l’image ? Bienvenue dans la nouvelle “bible en image” de Jean Dytar.

BD-de-la-semaine Rassemblement chez Stéphanie, cette seamine


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois