Dans un bureau dérobé, à la Maison de la Poésie : Lou Andreas-Salomé

Peu ont eu la chance, à la Maison de la poésie de Paris, mardi dernier, de se glisser dans le petit bureau souterrain, aménagé en une salle de spectacle pas comme les autres, où le public s’assoit si près de l’artiste qu’il l’entend murmurer, respirer et même écrire.

C’était le cadre idéal pour la lecture que nous venions entendre. Hélène Fillières, actrice, réalisatrice, metteuse en scène, lisait des fragments de la correspondance et des mémoires de Lou Andreas-Salomé, montés par Ninon Brétécher. Lecture intime, passionnée et instructive.

Lou Andreas-Salomé, de son vrai nom russe Lioulia von Salomé (Saint-Petersbourg 1861-Göttingen 1937) est souvent présentée comme la compagne de Nietzsche, de Rilke et de Freud, et une Muse aristocrate polyamoureuse. Mais la lecture d’Hélène Fillières nous en dit plus sur cette femme de lettres, ses savoirs et même son humour. Formée à l’université allemande (Zurich était alors la seule université ouverte aux femmes) Andreas-Salomé a bénéficié d’un enseignement philosophique de la plus grande qualité, qui lui permit de ne pas être seulement la compagne mais même la collaboratrice d’un Nietzsche, d’un Freud et de beaucoup d’autres, ce qu’on ne dit pas assez mais qu’on apprend en la lisant.

Pour une part, l’œuvre de Lou Andreas-Salomé est caractéristique de ce que Beauvoir déplore chez les femmes de lettres : la croyance désespérée en la beauté de la personne elle-même, plutôt que la beauté de ses réalisations. « La Vie est œuvre poétique. Sans en être conscients nous-mêmes, nous la vivons jour après jour, par fragments, mais c’est Elle qui tisse notre vie, en compose le poème. » Si la lecture d’Hélène Fillières n’était que cela, une promenade dans la vie d’une personne, comme si toute personne était un poème (ce que certaines critiques soutiennent aujourd’hui, comme Marielle Macé), on s’étonnerait beaucoup de la vie prodigieuse qu’eut cette femme. Mais on l’écouterait pour ce qu’elle est, et non pas pour ce qu’elle dit.

Or les écrits biographiques de Lou Andreas-Salomé montrent des convictions réalisées, l’affirmation en actes d’une utopie qui est politique et poétique à la fois. « Je suis éternellement fidèle aux souvenirs, je ne la suis pas aux hommes », et quelques autres sentences de ce genre, rythment et conduisent la vie de l’écrivaine. Elle s’y tiendra jusqu’à sa mort, et ne s’engourdira pas dans la routine d’un couple ou d’un travail. « Je veux toujours rester au stade de la transition, car je ne la sacrifierai jamais. » C’est ce refus radical des postures sociales admises, cette inventivité dans le ménagement d’un rôle inédit dans l’espace littéraire, qui rapproche sans doute Lou Andreas-Salomé et celle qui lui prêtait sa voix ce soir-là, Hélène Fillières.

Dans un bureau dérobé, à la Maison de la Poésie : Lou Andreas-SaloméH. Fillières portant un tee-shirt de David Bowie

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