Flight · Sherman Alexie

Flight · Sherman Alexie
Je reviens vers Sherman Alexie avec l’envie de poursuivre lexploration de son œuvre. Après Le premier qui pleure a perdu etIndian Killer, au tour de Flight, son troisième roman.

Seattle, 2007. À quinze ans, Spots est ballotté de foyers d’accueil en foyers d’accueil. Depuis ses six ans, il en a connu vingt et a fréquentés vingt-deux écoles différentes. Sa vie tient dans un petit sac à dos.


Flight · Sherman AlexieJe ne possède que deux paires de pantalons, trois chemises, quatre ensembles de sous-vêtements, une casquette de base-ball, trois paires de chaussettes, trois livres de poche (Les raisins de la colère, L’hiver dans le sang et Dead Zone) ainsi que les photos de ma mère et de mon père.
J’ai honte d’avoir quinze ans. D’être grand. Et maigre. Et moche. J’ai honte d’avoir l’air d’un sac de boutons attaché à un balai. Je me demande si la solitude donne de l’acné. Je me demande si être indien donne de l’acné. Mon père était indien. De cette tribu-là ou d’une autre. De cette réserve-là ou d’une autre. Je ne l’ai pas connu, mais j’ai une photo de son visage ravagé par l’acné. J’ai hérité de son teint pourri, de ses cheveux noirs et de son gros nez d’Indien. En plus, mon père était un ivrogne, davantage amoureux de la bière et de la vodka que de ma mère et moi. Il a disparu comme un magicien cruel environ deux minutes après ma naissance. Ma mère est morte d’un cancer du sein quand j’avais six ans. J’ai quelques souvenirs d’elle. Sa voix, ses cheveux roux, la manière dont elle levait un sourcil quand elle riait. Je regrette parfois qu’elle ne soit pas morte plus tôt afin que j’aie aucune souvenir d’elle. Je me souviens de ses yeux verts. C’était une Blanche. Irlandaise, je suppose. J’ai aussi une photo d’elle. Elle est superbe. J’ai les yeux verts, comme elle, mais je ne suis pas beau. Je voudrais lui ressembler davantage. Oui, je suis irlandais et indien, ce qui serait le mélange le plus génial du monde si mes parents étaient là pour m’apprendre à être irlandais et indien. Seulement, il y a longtemps qu’ils ne sont plus là, si bien que je ne suis vraiment ni irlandais ni indien. Je suis un ciel vide, une éclipse solaire humaine.

Spots fugue, se tient avec les Indiens de la rue, boit et allume des feux. Amené une fois encore en prison, dans l’attente de son sort, il rencontre Justice, un jeune Blanc qui vénère les Indiens. Le courant passe fort. Remis en liberté, Spots traîne avec son nouvel - et seul - ami, se laisse influencer et se retrouve dans une banque, armé jusqu’aux dents. Il tire sur tout ce qui bouge et reçoit une balle dans la tête. Lorsqu’il ouvre les yeux, il se retrouve en 1975, dans une chambre de motel à Red River, dans l’Idaho. Spots est devenu Hank Storm, un agent du FBI. Il sort de ce corps et se retrouve en 1876, dans le corps d’un jeune garçon muet, au milieu d’un campement indien, sur le champ de bataille de Little Bighorn. Il ferme les yeux et revient sous les traits de Gus, le meilleur traqueur d’Indiens de la US Cavalry. Il se retrouve par la suite dans la peau de Jimmy, un pilote d’avion dont lun des étudiants est mort en commettant un acte terroriste. Enfin, Spots prend les traits de son propre père, devenu un sans-abri alcoolique, échoué à Tacoma, Washington. C’est la fin du voyage, la dernière étape. Spots se réveille dans la banque de Seattle. La boucle est bouclée. Enfin presque… Spots meurt (symboliquement), laissant dorénavant toute la place à Michael (cest son vrai nom), lui donnant la chance dexister.


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Alors là, quelle histoire de fou! Ya pas à dire, Sherman Alexie est un conteur divin. Je me suis accrochée à Spots dès les premières pages, impatiente de tout savoir sur lui. Si j’ai été déroutée au départ par ses «réincarnations», par son voyage dans le temps, il ne m’a pas fallu longtemps pour être complètement conquise et comprendre où Sherman Alexie voulait aller. De corps en corps, dépoques en époques, les voyages de Spots jettent un éclairage original sur les grands moments de l’Histoire des Indiens dAmériqueTémoin dactes de violence effroyables à travers les yeux de Blancs et dIndiens, il comprend petit à petit ce que signifie quêtre un héros, une victime. À chaque fois, il doit faire face à un dilemme moral. Les questions fusent. «Comment faire la différence entre les bons et les méchants quand ils tiennent le même discours?»

Le mal-être de Spots fait mal à lire tellement il est vibrant de vérité. Dave, le bon policier, ma touchée par sa grande humanité. La fin, qui pourra sembler à certains un peu trop rose bonbon, ma réconfortée, apportant une lueur d’espoir dans toute cette noirceur. 

Sherman Alexie grafigne autant les Blancs que les Indiens. Il se montre impitoyable envers les uns et les autres. Aussi bien le dire, les flèches volent bas! Il continue de déployer ses thèmes de prédilection: abandon, violence, différence, racisme, vengeance, amitié. Le style est fougueux et saccadé, superbement bien traduit. Lhumour corrosif est omniprésent. Un roman atypique qui illustre de manière étonnante le parcours tumultueux dun adolescent cabossé vers lacceptation de soi. Flight se lit comme une épopée décoiffante, dun seul souffle.

Flight,Sherman Alexie, trad. Michel Lederer, Albin Michel, 216 pages, 2008. Aussi paru en poche chez 10-18.


Jai lu ce roman dans le cadre de deux challenges: 50 États en 50 romans (État de Washington) et Nation indienne.

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois