Qu'est-ce que «bien écrire»?

Qu'est-ce que «bien écrire»?
En pleine discussion autour d’un roman, quelqu’un avance: «Et puis, il est tellement bien écrit, ce roman.» À quoi un autre répond: «Ah non, au contraire, je l’ai trouvé très mal écrit.» Un autre demande: «Vous pouvez me dire à quoi correspond un roman bien écrit?»
Qualifier un livre de «bien écrit»? Selon moi, le «bien écrit» est relatif. Tout est une affaire de goût et d’affinités. Le «bien écrit» de l’un ne sera pas nécessairement le «bien écrit» de l’autre.
Certains sont sensibles au style poétique; d’autres préfèrent un style concis, d'autres encore un style plus académique. Les grandes envolées lyriques ne plaisent pas à tous, idem pour les phrases courtes et sèches. Certains savourent les longues descriptions proustiennes, d’autres les fuient, préférant le minimalisme. Certains se délectent de métaphores pittoresques, d'autres se laissent bercer par la musicalité d'une phrase. Une question de goût, encore...
Pour ma part, j’aime qu’un auteur m’ouvre une porte sur son imaginaire, qu’il me parle de sa voix unique, singulière. J’aime avoir l’impression que nul autre ne pourrait présenter une histoire de la même façon (c'est la raison pour laquelle j'aime autant les romans d'Antonio Lobo Antunes). À l'inverse, je n’aime pas les auteurs impersonnels dont la voix chevrotante dégage le déjà lu. Je n’aime pas non plus un style trop recherché (j'ai reposé après deux chapitres Règne animal de Jean-Baptiste Del Amo pour cette raison).
Des exemples? Voici le début de deux romans de la rentrée (je vais taire le nom des auteurs et les titres). Alors que l'envie de lire le premier meurt dans l'oeuf, je vais me précipiter pour lire le second. N'oublions pas qu'il s'agit de premières impressions. ici.
— Je vais où ? demanda Dave, coupant court à la conversation.
— Enligne-toi là, répondit J-P, d’un geste nonchalant.
La voiture s’immobilisa doucement derrière la plus courte des trois files de petites berlines, de camionnettes et de roulottes motorisées. Un groupe de quadragénaires caparaçonnés de cuir s’époumonait gaiement pour cou­vrir le vacarme de leurs Harley-Davidson. À gauche, des dix-huit roues patientaient dans la voie qui leur était réservée. Se découpant dans un ciel bleu presque sans nuages, des signaux lumineux verts et rouges indi­quaient les postes de douanes ouverts et fermés; l’éclat du soleil empêchait cependant de bien en distinguer la couleur. À droite, la silhouette angulaire de la boutique hors taxes ombrageait le stationnement; elle avalait et recrachait indifféremment des parents amenant d’ur­gence leur enfant aux toilettes, ou des consommateurs désirant profiter des bas prix. Seuls quelques éléments du décor rappelaient la solennité de l’endroit atténuée par cette magnifique journée d’été: un policier et son berger allemand, de grandes clôtures de part et d’autre, et les lourdes barrières qui défendaient noblement la frontière.

Ici, ce qui m’agace, c’est d’abord la lourdeur, puis le mélange de langage populaire («Enligne-toi là») et de mots recherchés («quadragénaires caparaçonnés»). Certaines images me plaisent («elle avalait et recrachait indifféremment…»), mais le fait qu’elles soient juxtaposées à des phrases sans âme («la silhouette angulaire de la boutique hors taxes», «des consommateurs désirant profiter des bas prix.») brise le rythme de lecture.

Si Samuel avait su que sa mère allait partir, peut-être aurait-il fait plus attention. Peut-être l’aurait-il davantage écoutée, observée, aurait-il consigné certaines choses essentielles. Peut-être aurait-il agi autrement, parlé autrement, été une autre personne.
Peut-être aurait-il pu être un enfant pour qui ça valait la peine de rester.
Mais Samuel ne savait pas que sa mère allait partir. Il ne savait pas qu’en réalité elle partait depuis des mois déjà – en secret, et par morceaux. Retirant des choses de la maison, une à une. Une robe de son placard. Une photo de l’album. Une fourchette du service en argent. Un édredon de sous le lit. Chaque semaine, elle prenait un objet différent. Un pull. Une paire de chaussures. Une décoration de Noël. Un livre. Lentement, sa présence s’atténuait dans la maison.
Voilà une voix qui me plaît, une approche personnelle, une accroche qui donne envie d’aller de l’avant. Beaucoup de poids et d'images en peu de mots. La première phrase «personnalise le personnage» et ancre dans le concret. Les répétitions viennent donner du rythme. Je me laisse bercer…
Après (ou avant, c’est selon), il y a bien sûr l’intrigue. Elle attire ou non, incite à ouvrir le livre ou non. Une question de goût, encore...
Et pour vous, qu’est-ce qu’un roman «bien écrit»? Quel style vous plaît? et lequel vous rebute?

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois