Jonas Gardell, « N’essuie jamais de larmes sans gants »

gardell-blog-gantsEn 2016, j’ai lu 50 livres. J’en ai adoré sept. Et puis il y a eu N’essuie jamais de larmes sans gants , et… j’ai été émerveillée. À chaque page, du début à la fin. Le coeur qui battait, la gorge qui se serrait face à un texte tellement bouleversant. Je vous l’ai déjà dit, je pleure de temps en temps de chagrin, de rage parfois, mais pas d’émotion. Je n’ai pas pleuré, je n’ai pas sangloté en lisant ce livre, mais je n’ai pourtant presque jamais ressenti physiquement une émotion littéraire aussi intense.

Jonas Gardell, « N’essuie jamais de larmes sans gants »

Présentation de la maison d’édition

1982. Rasmus vient d’avoir son bac et quitte la Suède profonde pour la capitale. À Stockholm, il va pouvoir être enfin lui-même. Loin de ceux qui le traitent de sale pédé.
Benjamin est Témoin de Jéhovah et vit dans le prosélytisme et les préceptes religieux inculqués par ses parents. Sa conviction vacille le jour où il frappe à la porte d’un homme qui l’accueille chaleureusement, et lui lance : « Tu le sais, au moins, que tu es homosexuel ? »
Rasmus et Benjamin vont s’aimer. Autour d’eux, une bande de jeunes gens, pleins de vie, qui se sont choisis comme vraie famille. Ils sont libres, insouciants. Quand arrive le sida. Certains n’ont plus que quelques mois, d’autres quelques années à vivre.

Face à une épidémie mortelle inconnue, toutes les politiques sociales ou sanitaires du « modèle suédois » échouent. Les malades séropositifs sont condamnés à l’isolement et à l’exclusion.
Un témoignage unique sur les années sida, un roman bouleversant.

Jonas Gardell, « N’essuie jamais de larmes sans gants »

D’abord, j’ai été frappée par la langue, qui équilibre parfaitement – oui oui, par-fai-te-ment – le terre-à-terre, le triste et le lyrique. Un homme est en train de mourir dans un hôpital, il souffre, et quand une infirmière essuie une larme qui coule sur sa joue, elle se fait gronder par sa supérieure qui lui rappelle qu’il ne faut jamais essuyer de larmes sans gants. Par peur de la contagion, on le comprend, mais aussi comme une punition, pour ces hommes qui ont commis l’ultime pécher de chair, la sodomie, et qui, quand-même, méritent bien ce qui leur arrive. Ils peuvent bien mourir seuls, après tout.

Ensuite, il y a le rythme de la narration, qui m’a entraînée de page en page sans jamais me lasser. L’attention est tantôt portée sur l’enfance des personnages, qui a ceci de commun à tous que chacun a été aimé, et s’est senti très seul et très différent des autres, tantôt sur leur vie d’adultes à Stockholm où ils évoluent au sein de la famille de coeur qu’ils se sont choisir. Enfant ou adulte, chacun, à un moment ou un autre de sa vie, s’est senti incompris, a eu peur de ses émotions, de ses attirances. Chacun a eu envie d’aimer – ô, cette phrase qui revient sans cesse et que j’ai trouvée si belle : « Je voudrais, dans ma vie, pouvoir aimer quelqu’un qui m’aime. » -, mais chacun a été mort de peur. Chacun a un irrépressible besoin de pouvoir exister comme il est, mais chacun a eu peur du regard des autres, de cette foutue maladie, le sida, le cancer gay, à laquelle on ne comprenait pas grand-chose, si ce n’était son caractère mortel et apparemment intrinsèquement homosexuel. Souvent, l’amour est au bord d’exploser tellement il est profond, et l’euphorie qu’il provoque l’emporte sur la peur. Souvent, l’angoisse viscérale provoquée par la maladie et son traitement par la société semble annihiler toute possibilité d’avenir ou d’épanouissement. Et pourtant, il y a presque toujours cette envie de vivre quand-même, d’avancer malgré tout.

Je dois être honnête avec vous, le livre est triste du début à la fin. Pas à chaque page, et certains passages sont franchement drôles, mais il y a cette mélancolie omniprésente tout de même, de bout en bout. Pourtant le roman n’est pas tire-larmes, parce que les chagrins sont dits à demi-mots, et illustrés par des actions brèves plutôt que de longs discours sur ce que signifie la douleur. J’ai été terriblement émue par cette pudeur, cette retenue qui donnait aux propos une dimension encore plus profonde.

Enfin, j’ai appris des tas de choses sur l’histoire sociale de l’homosexualité, en Suède – pays à l’époque beaucoup moins ouvert d’esprit et tolérant que ce que l’on imagine souvent – mais également dans le monde, et c’est donc un passionnant cours d’histoire auquel j’ai assisté, en marge d’une intrigue qui se déroulent lentement, inexorablement.

Jonas Gardell, « N’essuie jamais de larmes sans gants »

Du début à la fin, ce livre est d’une tristesse, d’une beauté et d’une puissance inouïes. Il dit le besoin essentiel d’être soi, de pouvoir aimer quelqu’un qui nous aime, malgré la douleur, malgré le rejet, malgré la maladie. Il dit la solitude et l’amour, il dit la famille que le coeur a choisie et la mort qui en fauche les membres les uns après les autres. Il dit les je t’aime et les je te veux. Il dit la déchéance des corps, le mépris de la société. Il dit la peur chevillée au corps et l’envie de vivre. Il dit l’amour qui naît, la tendresse et l’affection.



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