La tortue d’Achille, apophtegmes de Jean-Pierre Vidal…

211. — Non seulement je me prends pour un autre mais même pour plusieurs : c’est la seule façon que j’aie de m’en tirer avec mon identité.

212. — Certains arborent des profils en forme de profondeur de champ. D’autres ne sont perceptibles qu’en gros plan. Mais la vaste majorité des gens n’est désormais cadrée qu’en plan américain : coupé à l’âme.

213. — Les avatars de la ponctuation masculine : quand le point d’exclamation s’interroge, il finit en virgule. Un point, c’est tout.

214. — Quand on vous manifeste un respect dont vous ne voyez pas la raison, c’est que vous êtes devenu vieux.

215. — La morale sociale la plus répandue repose généralement sur cette maxime implicite : ne pas faire aux autres ce qu’on ne voudrait pas qu’ils vous fassent. Les affaires, comme la guerre, c’est l’inverse ; il s’agit expressément de faire aux autres ce qu’on ne voudrait pas qu’ils vous fassent : payer le plus tard possible et se faire payer le plus tôt possible, acheter au plus bas, vendre au plus haut, tuer, assommer, sortir du marché, réduire à la mort économique, liquider ou contraindre à la liquidation, etc. Et l’on voudrait que l’on s’enthousiasme pour ça ?

216. — Il faut s’aimer terriblement pour accepter de se sacrifier à quelqu’un d’autre. Tous les martyres sont des arrogants qui cachent leur jeu. Jésus est l’arrogance incarnée. Plus arrogant que ça, tu meurs en fils de Dieu !

217. — J’ai toujours su qu’il y avait des cons. Mais je n’aurais jamais cru qu’ils étaient si nombreux. Ni que je finirais moi-même trop souvent par être l’un d’eux.

218. — Certains mettent à rater leur vie la même obstination que d’autres à rester dans les ordres ou dans l’erreur. Mais si le temps rend un peu rêveuse l’obstination de ceux qui ont pris la règle de Dieu pour une règle de vie, il ne fait qu’exacerber jusqu’à la rage l’entêtement de ceux qui ont choisi de gâcher leur vie comme on revendique l’erreur.

219. — Dans un salon funéraire, les hommes ont toujours l’air un peu puni. Les femmes, elles, retrouvent avec naturel et aisance leur rôle ancestral de gardiennes des aires.

220. — Ce n’est pas la tortue qu’Achille ne rattrapera jamais mais son propre talon. Et pourtant, combien se lancent d’un pied léger dans cette course folle !

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitairesLa tortue d’Achille, apophtegmes de Jean-Pierre Vidal…québécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtcCiel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)