L'amant de Patagonie, Isabelle Autissier

Depuis la découverte de son dernier roman foudroyant, Soudain, seuls, je m'étais promis de me plonger dans l'oeuvre d'Isabelle Autissier. Pour accomplir ce réjouissant dessein, j'ai choisi de commencer par L'amant de Patagonie, un roman publié en 2012, au titre promettant un absolu dépaysement. 
L'amant de Patagonie, Isabelle Autissier
Le synopsis
Dans les années 1880, Emily a 16 ans lorsqu'elle est envoyée en Patagonie pour être la gouvernante des enfants du révérend. Elle y découvre la beauté saisissante de la nature sauvage, et les mœurs des Indiens qui vivent à proximité, grâce à la complicité qu'elle noue avec l'un d'entre eux, Aneki, qui se transforme bientôt en idylle. Lorsqu'elle déclare au révérend son souhait d'épouser Aneki, sa réaction violente la conduit à s'enfuir. Elle vit à ses côtés un été fulgurant, avant que les événements ne les rattrapent. 
Mon avis
A défaut d'éprouver la puissance brutale, sans concession qui m'avait terrassée dans Soudain, seuls, j'ai eu le plaisir de retrouver la prose délicate d'Isabelle Autissier et l'exploration de la relation ambivalente entre l'homme et la nature.
L'amant de Patagonie ne manque pas de verser dans un certain lyrisme, car la narratrice est une jeune fille puis une femme relativement isolée, qui, au-delà de l'amour et de la passion charnelle, découvre une terre à laquelle elle s'attache, un peuple, des coutumes, et apprend à dépasser les préjugés culturels qui l'entravent.
Il est bien entendu édifiant d'interroger avec elle les notions de sauvagerie, d'inculture, et, en pointillés, d'humanité également, ainsi que de prendre la mesure des savoirs-faire des Indiens qui chassent et pêchent en virtuoses, vivent en harmonie avec la nature qui les entoure, ou encore de leur incompréhension totale du concept de propriété terrienne.
Les pérégrinations qui sont celles de la protagoniste, Emily, connaissent des rebondissements qui nourrissent la curiosité du lecteur, sans pour autant donner le sentiment de suivre un schéma mécanique implacable : l'issue du roman présente moins d'intérêt que l'histoire d'Emily, les épreuves auxquelles elle fait face et qui apportent de la complexité et de la nuance à sa vision de la Patagonie, des Indiens, des relations qu'ils entretiennent avec les Blancs, et des missions que revendiquent ces derniers sur un territoire qu'ils traitent en possession.
Un roman, donc, qui pose déjà les bases du choc esthétique et émotionnel qu'a été par la suite Soudain, seuls, à une époque plus reculée, et ce avec une grande sensibilité.
Pour vous si...
  • Vous êtes un aficionado du nature writing, depuis les écrits de TC Boyle (San Miguel) jusqu'à ceux de Boyden (Dans le grand cercle du monde)
  • Vous avez déjà été conquis par le style d'Isabelle Autissier

Morceaux choisis
"La ville, ses commerces, sa foule effrayaient la petite sauvageonne que j'étais. C'est là que j'ai découvert combien il m'était indispensable de voir couler une source et d'y boire à la goulée, d'entendre crisser mes pas sur les feuilles sèches, de sentir le vent dévaler les collines, capturant au passage toutes les odeurs de seigle tiède et de bruyère. Ces sensations, banales pour les paysans, inutiles pour les citadins, me manquaient cruellement. Je n'ai jamais su la nature de ma correspondance secrète avec ces choses simples. Mais dès cet âge, j'ai pris conscience que ma vie ne pourrait pas se dérouler sans elles."
"Je ne dors plus. Est-ce que ce que je ressens est de l'amour, comme dans les histoires des almanachs que je lisais en cachette chez les Mac Kay? Je ne sais pas. Cela me semble beaucoup plus puissant, étrange, indescriptible. Quel amour peut-il y avoir entre une femme blanche et un Indien? Le même qu'entre le pasteur et Dorothy, entre Elisa et Samuel? Non, à coup sûr. Que pouvons-nous inventer d'autre?"
"Aucun endroit au monde ne me donnera la beauté profonde de la Patagonie. Tu as raison, c'est une terre d'angoisses, mais même après une nuit sans sommeil, quand je vois le jour se lever avec sa lumière si pure, le reflet exact des falaises dans l'eau calme, un vol de sternes, je me sens mille fois payé de retour."
Note finale3/5(cool)

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois