The Girls d’Emma Cline

The Girls d’Emma Cline

Hasard de lecture ? J'ai ouvert The Girls d'Emma Cline peu de temps après avoir lu Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir et Une chambre à soi de Virginia Woolf. Sont-ce ces deux lectures qui ont influencé ma réception de ce roman ? Ou un simple et idéal concours de circonstance, qui a fait que tous les livres ouverts en ce milieu de septembre se répondaient les uns les autres ?

La lecture féministe me semble en effet incontournable pour comprendre le roman d'Emma Cline. Contextualisons un peu. The Girls est le premier roman d'une américaine de 26 ans. Après un grand succès aux Etats-Unis, de nombreux éditeurs se sont précipités pour en acheter les droits de traduction et le diffuser dans le monde. En France, c'est les éditions de la Table ronde qui nous en proposent aujourd'hui la traduction.

Drôle de timing dans tous les cas, puisqu'un autre roman de la rentrée littéraire, français quant à lui, s'est attaqué au sujet, avec un titre à la sensible ressemblance : American girls de Simon Liberati. Je ne l'ai pas lu - peut-être ne le lirai-je pas, va savoir... -car ce qui m'a attirée chez Emma Cline, ce n'est pas tant le sujet (j'y viens) que l'angle avec lequel il est abordé.

The Girls s'inspire clairement des événements tragiques liés à la " Famille ", communauté créée autour de Charles Manson en Californie durant les années hippies. Trop jeune sans doute pour avoir été marquée par l'événement et son traitement médiatique, je me permets par conséquent de rappeler les faits : un soir d'août 1969, quatre membres de la communauté s'introduisent dans une propriété et assassinent les personnes qui s'y trouvent (dont l'épouse de Roman Polanski alors enceinte). La violence de l'acte choque grandement l'Amérique mais l'enquête ne permet pas tout de suite de trouver les coupables - ceux-ci commettent d'autres meurtres que la police ne parvient pas à relier. C'est lorsqu'une des jeunes filles emprisonnée pour un délit mineur se confie à une co-détenue, que les membres de la " Famille " sont retrouvés. Charles Manson est alors arrêté avec eux, bien qu'il n'ait pas commis de crime lui-même, en raison de l'influence qu'il exerçait sur l'ensemble de la bande. Il est toujours incarcéré aujourd'hui.

Je dois vous avouer quelque chose : lorsque j'entends Manson, je pense d'abord au musicien Marylin Manson, et pas vraiment à ce Charles qui lui a inspiré ce pseudonyme. La question sectaire, la fascination bien compréhensible que peuvent exercer les gourous ne m'intrigue pas plus que ça. Je partais du principe simple et confortable que ça n'arrive toujours qu'aux autres. Mais, et c'est là toute la force du roman d'Emma Cline, The Girls s'interroge sur ce qui a pu mener des jeunes filles un peu perdues à commettre des violences aussi graves. Prenant le point de vue d'une adolescente, quasi une gamine, Evie, elle décrit l'étrange monde de la Famille (appelée Le Ranch) avec les mots et les concepts d'un individu encore en formation. Ce faisant, elle pointe du doigt le drame de l'existence féminine que décrivait déjà Beauvoir : l'aliénation au regard de l'autre.

Tout ce temps consacré à me préparer, à lire des articles qui m'apprenaient que la vie n'était en réalité qu'une salle d'attente, jusqu'à ce que quelqu'un vous remarque, les garçons l'avaient consacré à devenir eux-mêmes.

Brisées par trop d'espoirs déçues, les filles qui s'aliènent à Russell abandonnent bien trop peu pour que cela soit difficile : elles ne tombent pas de haut. Ainsi l'auteur dessine-t-elle une grille de lecture intéressante, d'autant plus intéressante qu'elle ne tombe pas dans le piège du système. Tout nous parvient à travers le prisme de la conscience de notre narratrice, qui se remémore les événements. Si le constat est amer, le procédé rend la lecture supportable - pire, sans doute, parce qu'il lui donne aussi un pouvoir de fascination presque coupable. Jusqu'à quel point, jusqu'où peut-on aller pour un peu d'amour, de reconnaissance ou par admiration ? Une bonne surprise, qui ouvre mon programme de 6 lectures estampillées Rentrée littéraire.

Girls d’Emma Cline

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