Le monde de Pierre Raphaël Pelletier….

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Je me promène sous les traits d’un ciel défait. Amalgamé à mes allures de naufragé, cela me donne une sacrée tête d’embruiné. Je me laisse choir sur un banc d’essai à l’écart du trottoir. Je réfléchis au récit que j’ai commencé à écrire. Qui est le créateur ? L’auteur ou le récit ? Que l’imposteur se lève ! Sournoisement, le récit essaie de m’exclure de mon écriture pour cause de confusion de rôles.
Dans ma ruelle, les corneilles du quartier discutent sur un ton de rockeur de changement climatique et des avantages d’un printemps hâtif. Je me joins à la conversation. On se prend au bec. Elles raffolent de nos chicanes à l’amiable et moi de leur propension à la transgression.

Ni vu ni connu, je prendrais un verre de scotch. J’apprends difficilement à désamorcer les pulsions qui me poussent à boire. Pas facile de se déprogrammer. Encore plus si on y pense trop, car la procrastination est un terrain propice à la séduction. La part sans équivoque entre le désir de boire et le désir de vivre est difficile à tracer.

Il pleut beaucoup. La solitude me prend dans son intimité, me jure dévouement et fidélité. Cette fois-ci, je ne la repousse pas. Au marché By, on s’active à nettoyer la chaussée et les trottoirs à grands coups de balais trempés jusqu’au rognon. Malgré la pluie, à quelques étals couverts de plastique, on vend les produits des érablières du Québec ou des régions de l’Est de l’Ontario.

Bientôt, par beau temps, reviendront les amuseurs publics et les artistes d’œuvres éphémères, tous passés maîtres dans l’art de donner des ailes aux simples passants.

Un habitué du marché, un libre citoyen de la rue, se défonce à tirer un brin de musique d’une guitare fatiguée. Je l’écoute quelque temps avant de me rendre compte que de sa vitrine, derrière moi, le marchand de la poissonnerie, ne cesse de faire signe à mon joueur de guitare d’aller jouer ailleurs. Comme si le trottoir était exclusivement aux mains des consommateurs et des marchands. À mon tour, je lui fais signe d’arrêter de gesticuler. En cette fin d’après-midi, je reprends mes marches le long des petites rues qui entourent le marché. Le ciel se dégage et une légère lumière rehausse les silhouettes des arbres élimés par les vents d’hiver.
Trace sur trace, mes marches au centre-ville et dans les parcs du voisinage me rapprochent du quotidien et de ses faits divers, tout en m’initiant à une réalité autre que celle qui banalise la vie.

Je remonte la rue Murray. De King Edward, j’emprunte St-Patrick et passe devant le vieux couvent de sœurs recyclé en ambassade. Je continue jusqu’à Beechwood en traversant le pont qui enjambe la rivière Rideau. Je m’arrête au café Le Hibou. Je me paye un triple expresso, m’installe avec ma pile de journaux à une petite table à l’arrière du café.

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À la fois poète, romancier, essayiste et artiste visuel, Pierre Raphaël Pelletier a publié une vingtaine de livres touchant différents genres et réalisé plus d’une trentaine d’expositions (solos ou en groupe) de sculptures, de peintures ou de dessins. Il s’est aussi fait connaître par son implication dans un éventail d’organismes artistiques et culturels de la Francophonie canadienne comme l’Association des auteures et auteurs de l’Ontario français, dont il est l’un des membres fondateurs.

Vers la fin des années 1970, Pierre Raphaël, après une maîtrise en philosophie, tient diverses chroniques sur les arts visuels à la radio de Radio-Canada et pour le journal Le Droit. Entre 1977 et 1982, il est responsable des secteurs de l’animation culturelle et du Centre des femmes et Étudiant-e-s étrangers-ères de l’Université d’Ottawa. C’est à partir de cette époque qu’il réalise plusieurs études et recherches sur la situation des arts et de la culture en Ontario, notamment Étude sur les arts visuels en Ontario français (1976) et Étude des centres culturels en Ontario (1979). Jusqu’à la fin des années 1990, il aura aussi écrit des articles parus dans des revues, comme Le Sabord, Éducation et francophonie et Liaison.

Parmi ses publications, notons le recueil de poésie L’œil de la lumière (L’Interligne, 2007) pour lequel il remporte, en 2008, le Prix Trillium, le roman Il faut crier l’injure (Le Nordir, 1998), qui lui permet de gagner le Prix Christine-Dumitriu-Van-Saanen et le Prix du livre d’Ottawa-Carleton en 1999. Il est également l’auteur du récit Entre l’étreinte de la rue et la fièvre des cafés (David, 2012) et de l’essai Pour une culture de l’injure (Le Nordir, 1999) écrit en collaboration avec Herménégilde Chiasson. (Éd. David)


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois