La cage, un texte de Dany Tremblay…

Ils l’ont retrouvée dans le fond de la grange. Elle fixait la lumière qui pénétrait entre les planches du plafond. Elle s’y intéressait comme s’il n’y avait rien eu de plus important.
À l’annonce de cette nouvelle, les langues se sont déliées, chacun y allant fort, comme s’il détenait la vérité. Dans le fond, qu’est-ce qu’ils savaient d’elle ? Moi non plus, je ne connaissais pas grand-chose de son histoire.
Quand je suis arrivé dans le coin, elle emménageait. Sur les marches du bureau de poste, elle m’a confié qu’il s’agissait de sa dernière chance. Au pied des montagnes, elle serait à l’abri ; auprès de ces villageois, les choses se passeraient autrement, voilà ce qu’elle m’a dit.
Je l’ai revue par la suite. Je l’ai trouvée bizarre. Cela tenait à ses vêtements dans lesquels elle se perdait, à son regard qui flottait au loin, à sa façon de parler, si bas qu’il fallait s’approcher pour l’entendre.
Un soir qu’elle revenait de la ville, passait près de la prison aux portes du village, une indéfinissable angoisse l’a étreinte, une angoisse dont elle n’est jamais parvenue à se débarrasser. Elle-même qui me l’a avoué. Sur cette route sombre, mal éclairée et mal entretenue, elle s’est sentie captive. Les gens s’épiaient par les carreaux, disait-elle, jugeaient de tout sur des riens. Elle a essayé de se reprendre. Après quelques semaines, cette obsession l’a envahie : les gens dans la rue parlaient d’elle.
Un soir, l’homme qui l’avait entraînée au village ne l’a pas trouvée. Les villageois sont partis à sa recherche, y compris ceux qui avaient nourri son délire et que les remords, soudain, rendaient muets.
On l’a trouvée dans cette grange qui tenait debout de peine et de misère. Elle psalmodiait d’incompréhensibles paroles. Elle a regardé la foule dans la porte, puis elle s’est remise à contempler la lumière blanche qui entrait entre les planches pourries du plafond. Quelqu’un a ricané. Elle était seule, bel et bien seule, je l’ai vu.
Cette grange n’existe plus. Certains sont partis tenter leur chance ailleurs, « leur dernière », aurait-elle dit avec le sourire. Je suis demeuré au village.
Je ressens ce malaise chaque fois que je passe devant de la prison, que je pense à elle.

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieDany Tremblay a vécu son adolescence et  le début de sa vie d’adulte à Chicoutimi. Après un long séjour dans la région de Montréal, où elle a obtenu une maîtrise en Création littéraire à l’UQAM, elle s’est de nouveau installée au Saguenay où elle partage son temps entre l’écriture et l’enseignement de la littérature au Collège de Chicoutimi. Au début des années 80, elle s’est mérité le troisième prix de la Plume Saguenéenne en poésie ; en 1994, elle est des dix finalistes du concours Nouvelles Fraîches de l’UQAM. Organisatrice de Voies d’Échanges, qui a accueilli, deux années de suite, une vingtaine d’écrivains à Saguenay, elle est aussi, à deux reprises, boursière du CALQ. Elle s’est impliquée dans l’APES-CN dont elle a été présidente de 2006 à 2008. Depuis presque dix ans, elle pratique l’écriture publique avec les Donneurs de Joliette, fait partie des lecteurs pour le Prix Damase-Potvin et celui des Cinq Continents.

À ce jour, elle a publié des nouvelles dans plusieurs revues au Québec, a coécrit avec Michel Dufour Allégories : amour de soi amour de l’autre publié en 2006 chez JCL et Miroirs aux alouettes, roman-nouvelles, publié en 2008 chez les Équinoxes, ouvrage auquel a participé Martial Ouellet.  En 2009 et 2010, elle fera paraître successivement, aux Éditions de la Grenouille Bleue, deux recueils de nouvelles : Tous les chemins mènent à l’ombre (Prix récit : Salon du Livre du SLSJ en 2010) et Le musée des choses.  En mai de cette année, elle a publié aux éditions JCL un récit témoignage : Un sein en moins ! Et après…

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois