A l'ALMA, Meg Rosoff a dénoncé "l'attentat à l'enfance" qui se commet en ce moment

Meg Rosoff à Stockholm en mai 2016. (c) Stefan Tell.


On le sait, Meg Rosoff est la lauréat 2016 du Prix Astrid Lindgren (lire ici) ou ALMA.

A lire, la traduction en français du discours que la romancière américaine qui vit en Grande-Bretagne a prononcé le 30 mai à Stockholm, lors de la réception officielle (et merci à Albin Michel Jeunesse de l'avoir fait).

Combien sa parole de défense des enfants, de défense de l'enfance, est forte et précieuse! Extraits. "Cette année, j’ai souvent pensé aux enfants."
"En Angleterre, nous sommes en train de vivre un véritable attentat à l’enfance."
"Peut-être avez-vous perçu que, sans l’imagination des enfants, l’humanité était perdue?"

Le discours de Meg Rosoff.

C’est pour moi un immense honneur de recevoir le prix Astrid Lindgren 2016. J’ai l’impression de n’avoir toujours pas bien réalisé ce qui m’arrivait, cette nouvelle continue à me surprendre tous les jours. 
Cette année, j’ai souvent pensé aux enfants. Aux enfants qui vivent sous des tentes à Calais. À ceux qui ont fui la Syrie, seuls. À ceux qui en sont morts.  À ces enfants dont les vies sont brisées par des décisions d’adultes.
J’ai aussi pensé à des enfants plus proches de moi, au Royaume-Uni, qui ne jouent jamais dehors, qui ne jouent pas, à vrai dire. À ces enfants qui croient les inepties de leurs parents et du gouvernement: que rien n’est plus important que les notes et les examens, qu’ils doivent se bourrer le crâne d’un maximum d’informations, qu’ils doivent s’instruire, aimer les livres, mais qu’on peut en finir avec les libraires et fermer les bibliothèques. Notre gouvernement affirme que les enfants ne devraient pas rêvasser en  regardant par la fenêtre. Notre gouvernement affirme que ni la musique, ni les livres ne sont utiles pour une vie réussie. Car la réussite se mesure à la quantité d’argent gagné.
Souvent, je rencontre ces enfants. Parfois, ils obtiennent d’excellentes notes à leurs examens. Parfois, ils se scarifient, s’affament ou tombent dans la dépression.Pas le temps de rêvasser pour les professeurs. Ils ont des cases à remplir, des questionnaires à compléter. Le nombre astronomique de démissions dans ce corps de métier n’y est sans doute pas étranger. Ce qui était une vocation s’est transformé en un métier ennuyeux, dépourvu de toute joie.  Cet ennui a contaminé les classes, mais les élèves ne peuvent pas démissionner.  Ils tiennent bon, dressés depuis l’enfance à ne pas rêver, imaginer, jouer.
En Angleterre, nous sommes en train de vivre un véritable attentat à l’enfance.
Astrid Lindgren disait: "Toutes les grandes choses de ce monde sont nées de l’imagination."La Suède a imaginé un pays qui pourrait accueillir 6000 enfants réfugiés dans ses écoles, sans que cela ne pose problème. Un pays qui encouragerait les auteurs jeunesse (et même, pendant une semaine, les traiteraient comme des stars!). Un pays où les libraires, les professeurs auraient autant d’importance que les banquiers ou les avocats.  Peut-être avez-vous perçu que, sans l’imagination des enfants, l’humanité était perdue?
Astrid Lindgren nous rappelle qu’un jour, ce sont les enfants qui dirigeront le monde, que rien n’est plus important que ce que nous leur enseignons, quelles valeurs, quels savoirs, quel futur ils peuvent imaginer. C’est pour moi un grand honneur et une immense responsabilité de porter l’œuvre d’Astrid Lindgren. En recevant ce prix, je suis touchée par la reconnaissance faite à mon travail, surtout venant d’un pays qui attache tant d’importance aux enfants, à leurs livres et à leur imagination.
En mémoire d’Astrid Lindgren, avec une affection particulière pour ses héros, courageux, libres, singuliers, et tous mes remerciements au jury de l’ALMA, j’accepte ce prix avec joie et émerveillement. Je ferai tout pour m’en montrer digne.


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