Sandman, ne t’en va pas

Et voilà, c’est la fin. Hier, le dernier tome de Sandman est sorti. Et j’ai une boule dans le ventre à l’idée d’aller l’acheter. Sandman, pourquoi devais-tu partir ? Je t’aimais tant. Parlons un peu de ce que représente Sandman pour le monde des comics et pour moi, histoire de le retenir quelques instants de plus… 

Sandman est un monument dans le paysage des comics. C’est une des meilleures ventes de tous les temps, et les rééditions se font régulièrement, tellement son importance n’a pas diminué malgré les années. Sandman est d’abord sorti sous la forme habituelle aux Etats-Unis : en « issues », c’est à dire un chapitre par mois, de 1989 à 1996. Mais c’est en format librairie qu’il a connu son succès le plus important. En effet, je vois souvent Sandman conseillé aux gens qui n’aiment pas les comics, ou qui n’aime pas le genre super-héroïque, qui est celui le plus répandu dans les publications comics. Ce récit est considéré à juste titre comme un porte possible vers toutes les merveilles publiées chez Vertigo (Sandman reste leur plus gros succès !), que vous pourrez retrouver en VF chez Urban Comics.
J’ai souvent vu le terme « comics pour intellectuels » pour qualifier cette oeuvre. Je n’aime pas tellement faire des classements de qualité, après tout on peut tout à fait lire un Deadpool bas du front ET Oedipe de Sophocle, il n’y a rien de bizarre à cela (ok les gens ? Je ne suis PAS bizarre !!). Mais il est vrai que Sandman est une histoire incroyablement riche, notamment en termes de références.

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Sandman en enfer

Ceux qui connaissent l’oeuvre de l’auteur Neil Gaiman, dont je vous avais déjà parlé ici, reconnaîtront son écriture pleine de références à la pop culture, mais surtout aux mythologies gréco-romaine, nordique, celte, africaine, égyptienne, etc. Il est évident que pour saisir toutes les références incluses dans les récits de Gaiman, il est préférable de s’y connaître un minimum sur ces sujets. Malgré tout, je pense qu’il est tout à fait possible de comprendre et d’admirer Sandman sans saisir toutes ces références, même si l’univers semblera sans aucun doute beaucoup moins riche aux néophytes. De nouveaux mythes sont créés par Gaiman en s’appuyant sur un folklore connu ou vaguement réutilisé ailleurs pour créer une vraie connivence avec le lecteur. Même la musique est présente : vous trouvez un air de ressemblance du personnage de Lucifer avec la chanteur mythique (et malheureusement décédé il y a un mois, j’en pleure encore…) David Bowie ? C’est normal ! C’est le scénariste qui a spécifiquement demandé à son dessinateur de lui donner cette apparence. Ce personnage a d’ailleurs connu un spin-off très sympa, même si ce n’est pas scénarisé par Gaiman. Autant vous dire que même si vous ne connaissez pas le panthéon des dieux égyptiens sur le bout des doigts, vous vous y retrouverez quand même !

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Lucifer Bowie

Difficile de résumer l’histoire de ce joli pavé de plus de 2000 pages, tout de même ! Pour faire simple, le protagoniste principal est Dream (ou Morphée, ou le Maître des Rêves, ou Sandman…), l’incarnation du rêve. Il fait partie de la famille des immortels, qui comporte aussi le Destin, la Destruction, le Désespoir, le Désir, le Délire et Death : la mort. Des années avant que le récit de Sandman ne commence, Destruction décide de quitter son poste et de laisser les cycles de création et de destruction se faire sans lui. Cet événement perturbera énormément ses frères et soeurs, et aura des répercutions sur l’état d’esprit de Dream de nombreuses années après. Lorsque le récit commence, Dream a été capturé par quelqu’un qui espère obtenir l’immortalité de lui. Mais Dream ne cède pas. Lorsqu’il parvient à s’échapper, des années après, il retrouve le royaume des rêves presque détruit et se met à le reconstruire. Mais peut-il vraiment redevenir identique ? Bientôt, le passé rattrapera Morphée…

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Mais ce résumé est partiel : en effet, Sandman est constitué d’une succession de contes qui n’ont parfois pas de lien entre eux, et où Dream n’apparaît pas forcément plus d’une seule case. Il y a beaucoup de personnages différents, d’ailleurs une relecture est parfois nécessaires lorsqu’un personnage du tome 2 réapparaît dans le 5… C’est complexe, et c’est magnifique. Le fil rouge paraît être moins Sandman lui-même que l’univers des rêves. L’aspect onirique des récits est vraiment ce qui définit cette lecture.
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Le rêve est aussi visible dans les dessins : Sandman change d’apparence continuellement, il dit d’ailleurs que chaque personne à qui il parle le voit selon ses propres paramètres, ses propres références. Sa façon de s’habiller, sa coiffure, et même sa couleur de peau changent donc souvent ! Mais pas ses yeux. Ces yeux sombres et fascinants. Ce qui colle avec le récit n’est d’ailleurs pas parfait pour autant : le dessinateur changeant quasiment à chaque chapitre, la lecture n’est pas toujours facile car il y a un temps d’adaptation au style. Et disons le franchement : certains chapitres (heureusement une petite partie seulement !) sont vraiment, vraiment moches. Mais bon, l’histoire est fascinante, alors… On lit en plusieurs fois pour oublier l’attaque des rétines !

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Ce qui fait selon moi le principal attrait de ces récits, c’est la galerie de personnages qui y a été créée. Les éternels, cette famille fascinante de dieux, a tellement marqué le paysage des comics qu’elle va se retrouver ailleurs. Combien de dessins de Death, la petite soeur de Dream, avez-vu dans votre vie ? C’est sûr, un certain nombre si vous fréquentez les conventions ! Ce personnage est inoubliable ! Il brise totalement les attentes en en faisant un personnage aimant, loin de la peur que la plupart des gens éprouvent à la pensée de la mort. J’en ai déjà parlé un peu, mais les attentes sont aussi déjouées en ce qui concerne le personnage principal, que j’ai du mal à qualifier de héros d’ailleurs ! Il est finalement assez secondaire dans l’histoire, car peu présent. Morphée laisse souvent sa place à d’autres personnages, dont certaines femmes tout à fait fascinantes. J’aurais pu le mettre dans ma liste de comics qui aiment les femmes, d’ailleurs ! Une majorité de lecteurs de Sandman sont en fait des lectrices.

The Sandman

Death & Dream

Fury/Lyta Hall est terriblement magnifique, tout comme Nada, Thessaly, ou Délire, qui est bien plus profonde que son discours fou ne laisse paraître de prime abord… Dream reste mystérieux jusqu’au bout : il montre peu d’émotions, même si elles se dessinent par touches, dans ses décisions, le scintillement de ses yeux, ses « modelages »… Drôle de héros, et pourtant personnage parfait !

Sandman en tenue de combat

Sandman en tenue de combat

Bref, le terme de Graphic Novel semble avoir été créé pour Sandman, tellement il semble à mi-chemin entre comics et roman. D’habitude, je trouve ce terme un peu vide de sens, juste une création d’un département marketing pour vendre des comics à un public plus large, mais il est vrai que dans Sandman, l’écriture est d’une densité assez proche de celle d’un roman, tout en comportant une partie graphique aussi riche qu’indispensable. Sandman parle de rêves, de renaissance, d’acceptation, de destin et de libre arbitre. Le mettre dans une case type « fantasy » est impossible, tant ce récit défie les genres. C’est tout simplement un récit de légende pour moi ! C’est pour cette raison que j’ai repoussé le moment de lire la fin de cette histoire.

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Neil Gaiman nous offre sa lumière sombre

Bien sûr, il y a Sandman Overture, récit qui se passe avant les événements de la série originale, scénarisée par Neil Gaiman et dessinée par le génial J.H Williams III, que je n’ai toujours pas lue. Il y a quelques spin-offs comme Lucifer que je n’ai pas terminés non plus. Il y a ce projet de film avec Joseph Gordon-Levitt à la réalisation qui semble prometteur. Vertigo aimerait aussi que Gaiman trouve d’autres idées de séries dérivées de cet univers en 2016 pour booster ses ventes.
Mais ce ne sera jamais pareil que LA série Sandman. Cette lecture a été une de mes premières lectures de comics hors super-héros, et ma porte ouverte vers des récits différents, plus « indé ». Elle a été un pont parfait entre mes lectures plus « classiques » (la mythologie, les premiers récits type Antigone, la littérature médiévale, Shakespeare & co…) et les comics, cette mythologie d’aujourd’hui. 

Sandman, merci pour cet univers qui reflète parfaitement toutes mes passions. Tu vas tellement me manquer.

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois