Cinquante nuances de cris…, un balbutiement de Sophie Torris…

Cher chat,

J’ai toujours été fille de joie et, pourtant, je n’avais jamais fait le trottoir. Cette semaine, je suis descendue dans lachat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, littérature, Québec rue pour la première fois avec l’idée d’arrondir mes fins de mois. Je viens donc de passer deux jours sur l’asphalte : une petite halte pour prévenir mes arrières. Après tout, je fais le plus vieux métier du monde. Je suis travailleuse textuelle.
Mais entrez donc dans mon bordel, le Chat. J’en suis la tenancière. C’est là que je déflore les esprits. Je tente de les mener à ces jouissances horizontales que sont l’écriture et la lecture. L’enseignement est une histoire de cul…te. Alors, même si le gel des salaires n’est pas le meilleur des lubrifiants, je continue de besogner en prenant soin d’élargir mon répertoire de pratiques textuelles. Vous le savez, je ne suis pas du genre à glander.
Toutefois, je ne suis ni pute ni soumise, et quand le gouvernement veut jouer à la renverse, je me mobilise. Voilà pourquoi je sors de ma maison d’impasse pour une partie de jambes à l’air. Je me mets à nu sur les avenues. Je me consume sur le bitume. Sur les grandes artères, je dénonce le cul-de-sac. Je bénévole, je racole au secours de mon école.
Ça m’aura coûté deux journées de salaire, mais c’est là que je veux investir. Je ne finirai pas statut précaire, car j’ai le droit à un autre avenir !
Alors, je lutte, je vocalise contre tous ceux qui amputent et vandalisent l’éducation à grands coups de compression. J’arpente la chaussée en dilettante avec d’autres travailleurs du texte et ensemble nous réécrivons cinquante nuances de cris :
« On fait la grève pour la survie de l’école publique, pour pas qu’on en fasse des maisons closes. On fait la grève parce que le gouvernement nous nique, toutes ces coupures qu’on nous impose !
On fait la grève pour nos classes de 50 élèves, on fait la grève sans trêve pour nous et pour la relève. On fait la grève pour une retraite moins brève avant qu’on ne crève !
On fait le trottoir pour quelques dollars parce qu’on en a marre de ce manque de vision idéologique. On fait la grève pour dénoncer le manque de soutien pédagogique ! »
Je ne suis pas une fille facile et pourtant j’arpente la ville. Je fais le tapin, la pancarte à la main, j’ai le slogan assassin : « J’enseigne, on me saigne ! » De quoi sera fait demain ?
Je ne suis pas femme de petite vertu, mais je pratique le coït interrompu. Quels sont ces rapports non protégés qu’on veut m’infliger ?
Je ne suis pas une cocotte, pourtant on m’encourage à des pratiques textuelles avec menottes. L’école est une maison de tolérance où le décrochage n’a plus d’importance.
Je ne suis pas escort, pourtant ce n’est pas la première cohorte que j’attise. Combien sont-ils à jouir de mon expertise ?
Je ne suis pas péripatéticienne, mais, quand leur enfant fait des siennes, j’offre mes services pour zéro cent. Mon déficit est explicite.
Je ne suis pas une fille à soldats et, pourtant, ce texte est mon combat. Je ne suis pas une femme légère, et j’espère faire le poids. Je ne me prostitue pas, mais je me tue si je ne proteste pas.
Tout cela est beaucoup plus qu’une histoire de sexe. Arpenter la chaussée n’est qu’un prétexte. C’est beaucoup plus qu’une histoire de baise, la grève n’est pas qu’une parenthèse.
Je ne suis pas femme volage, pourtant je racole le long des lignes de piquetage. Bientôt, j’entamerai ma troisième ronde de débrayage.
Je ne fais pas la belle. J’ai troqué mes dentelles contre des crécelles, mes bobettes contre des trompettes. Mon lupanar n’a rien d’égrillard. Je fais l’amour à l’éducation, ma pancarte en érection.

Sophie

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieSophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)