Sept yeux de chats de Jae-Hoon Choi

Sept yeux de chats de Jae-Hoon Choi

Combien de temps doit-on errer dans un labyrinthe avant de découvrir qu'il est sans issue ?

Dans mes livres de bibliothèque, il y a une petite feuille destinée à l'appréciation des lecteurs. Il faut cocher si on a aimé un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout un livre, ou encore si on ne l'a pas lu. Dans Sept yeux de chats, un lecteur inconnu a inscrit, à l'encre verte, je n'ai pas compris ce livre. J'avoue avoir considéré cet aveu avec un rien de condescendance, et j'en ai fort honte. J'avais imaginé un lecteur mal concentré, pressé d'arriver à la fin ou attaché de trop près à l'histoire et à ce qu'elle veut dire. J'adresse toutes mes excuses à cet homme ou à cette femme, qui a avoué les choses sans honte, et qui a bien raison. Et je confesse à sa suite : moi non plus, je n'ai pas compris ce livre.

Comment en parler, alors ? L'ouvrage est une forme étrange et changeante, divisée en quatre parties :

  • Le sixième rêve : Huis-clos dans un chalet entouré de neige. Cinq membres assidus d'un blog consacré aux tueurs en série se retrouvent lors d'une soirée organisée par le Webmaster, qui a pour pseudonyme Le Diable. Un tel sujet, des passionnés de crimes sanglants dans une même maison, tout le monde sait que cela va mal tourner, et en effet... Les jours sont ponctués de rêves, comme annonciateurs (déclencheurs ?) des crimes à venir. Les personnages restants cherchent à rester éveillés le plus longtemps possible, pour éviter de faire le sixième rêve, celui qui terminerai l'histoire.
  • Équation d'une vengeance conte l'histoire de plusieurs personnages. Quelques indices nous amènent à penser qu'il s'agit des protagonistes de l'histoire précédente, mais pourtant, des détails diffèrent, se déforment d'histoire en histoire. Et si l'on en vient à penser que personne n'est aussi irréprochable qu'il ne le pense ou le prétend, on ressent surtout combien la réalité est une matière mouvante, avec ses rêves, ses mensonges et vrais ou faux souvenirs.
  • π fait un pas de plus dans la complexité et l'auto-référentiel. M est un traducteur qui en vient à traduire du japonais Le Sixième rêve - soit la première partie que nous avons lue. Tandis qu'une jeune femme mystérieuse, qu'il appelle Artémis, lui conte chaque nuit une histoire qui ne finit jamais, mais dont il veut toujours savoir la suite - et ce d'autant plus que les échos avec sa propre vie y sont de plus en plus nombreux. Le jour, il s'échine à sa traduction, y voyant le seul moyen de terminer l'histoire, et perdant ses forces à la tâche. Les frontières de la réalité d'Haru fondent bientôt, et il ne parvient plus à faire la part entre réel et illusion. Pendant ce temps, M opère des transformations dans ses traductions, un peu d'abord puis de plus en plus fortes, modelant le réel à son tour et intégrant, par la force des choses - la fatigue aidant - des bribes de l'histoire de la jeune femme dans sa traduction. Quel récit est finalement influencé par l'autre ?
  • Sept yeux de chats continue dans la visée auto-référentielle, avec l'histoire d'un ancien écrivain qui découvre un livre singulier à la bibliothèque. Pas d'auteur, une date d'inscription au dépôt légal qui ne colle pas avec les événements racontés, un éditeur du nom de π, dont il ne trouve mention nulle part. Il commence sa lecture, est happée par l'histoire - celle d'une jeune actrice jouant Salomé poursuivie par un spectateur inquiétant. Il doit cependant se faire opérer des yeux et, sous la bonne garde de sa sœur, alors qu'il s'ennuie, il imagine les différentes fins possibles du roman. Une fois guéri, il court à la bibliothèque mais l'ouvrage a disparu. L'écrivain formule l'hypothèse que le livre change à chaque fois, selon son lecteur, et disparaît à nouveau.

Au fond, on peut voir Sept yeux de chats comme une variation sur le concept de L'Histoire sans fin, dans un environnement plus adulte et fortement imprégné de culture sentimentale. Seuls subsistent, d'une histoire à l'autre, des références communes - Klimt, Wilde, Schubert. C'est bien écrit, ça t'accroche, ça joue avec toi, mais je suis ressortie de ma lecture avec une relative frustration, sans bien comprendre où l'auteur souhaitait en venir. Et cela m'agace d'autant plus que je pressens quelque chose d'intéressant, bien caché sous les sept voiles de la perverse Salomé.

En vérité, j'ai un peu de mal avec les tours de passe-passe. J'ai trop peur qu'on me jette de la poudre aux yeux pour me faire pressentir le plein - pour dissimuler le vide. Je n'ai lu que cet ouvrage de Jae-Hoon Choi mais je suis intimement persuadée qu'il a beaucoup à dire et qu'il a, dans ce livre, révélé beaucoup de son imaginaire. Moi qui ne suis pas attachée à la signification brute des choses, qui aime tant le flou d'habitude, j'aurais pourtant préféré qu'il structure davantage le flot mouvant de cette histoire, mille fois réécrites, à la fois semblable et différente. Le voyage peut valoir le coup, pour l'univers, mais j'aurais aimé, moi, aller un peu plus jusqu'au bout des choses. Certaines dérobades du narrateur ont un peu trop un arrière-goût de fuite.

En ouvrant la porte de chez moi,
J'ai vu sept yeux de chat briller dans le noir.
Je n'ai que trois chats,
Un blanc, un noir et un tacheté.
Je n'ai pas osé allumer la lumière.


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois