IRL (Mark Eacersall – Henri Scala – Jérôme Savoyen – Editions Glénat)

A priori, Roxane est une adolescente tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Elève de terminale dans un lycée parisien, son quotidien ressemble à celui de la plupart des jeunes de son âge, entre ses copines, ses cours et sa famille. Certes, elle passe énormément de temps sur son ordinateur et son smartphone, mais n’est-ce pas le cas de la plupart des ados en 2025? Au contraire, Roxane semble être une élève motivée: lorsque d’autres jeunes bloquent l’entrée du lycée pour protester contre l’inaction climatique et sociale du gouvernement, elle insiste pour pouvoir suivre les cours. « Ma mère a justement quitté l’Iran parce qu’on empêchait les filles d’aller à l’école », explique-t-elle au garçon qui veut l’empêcher de passer. Mais en réalité, derrière cette façade de normalité, Roxane mène une autre vie beaucoup plus surprenante. Quand elle traîne sur son smartphone, ce n’est pas pour aller sur TikTok ou sur Instagram, mais pour échanger des messages avec des inconnus en quête de faux papiers. Sous le pseudonyme de « Soap », Roxane est une habituée du darknet, cette partie cachée du net mondial sur laquelle il est possible de naviguer de manière totalement anonyme car les adresses IP sont masquées. Une plateforme conçue au départ pour échapper à la mainmise des gouvernements et des entreprises, mais qui est devenue depuis lors le terrain de jeu des trafiquants en tous genres, des marchandises illégales aux numéros de carte volés en passant par les armes ou la drogue. Pourquoi une lycéenne sans histoires comme Roxane traîne-t-elle sur le darknet? En partie pour l’argent, bien sûr, mais aussi et surtout par militantisme. D’ailleurs, lorsqu’un de ses clients, un certain Odin, lui demande un jour de la rencontrer IRL (« In Real Life »), Roxane finit par accepter, car il lui fait croire qu’il cherche à obtenir de manière urgente des papiers d’identité pour des réfugiés. Mais en quittant le monde virtuel pour le monde réel, Roxane se met immédiatement en danger. L’existence tranquille de la lycéenne bascule aussitôt, entre menaces et paranoïa, tandis que la police a désormais « Soap » dans son collimateur…

Henri Scala, le co-scénariste de « IRL », est commissaire dans la Police nationale française depuis plus de vingt ans. Ayant passé l’essentiel de sa carrière dans la police d’investigation, il connaît extrêmement bien le quotidien des enquêteurs et des informateurs, que ce soit pour lutter contre la petite délinquance ou pour démanteler des organisations criminelles de plus grande ampleur. Associé à Mark Eacersall, avec lequel il avait déjà collaboré sur les excellentes BD « GoSt 111 », « Cristal 417 » et « A mourir entre les bras de ma nourrice », il signe une plongée à la fois passionnante et réaliste dans le monde de la cybercriminalité. En lisant cette BD, on découvre un monde souterrain largement méconnu du commun des mortels. Un monde caché, dans lequel les policiers ont beaucoup de mal à s’y retrouver et à démêler le vrai du faux, notamment parce que leurs moyens d’action et leurs ressources sont souvent dérisoires. Très documenté, ce thriller atypique s’inspire de véritables affaires et est truffé d’anecdotes et de faits réels, ce qui le rend d’autant plus captivant. Pendant plus de 200 pages, on se laisse happer par ce récit mené tambour battant par les deux scénaristes, qui nous gratifient au passage de nombreuses fausses pistes et retournements de situation, comme dans tout bon thriller qui se respecte. Les personnages de « IRL » sont eux aussi très crédibles, que ce soient les adolescents Roxane et Jérôme ou la policière en charge de l’enquête. Mais la toute bonne surprise de cette BD, c’est la découverte d’un nouveau dessinateur talentueux, puisqu’il s’agit de la première BD de Jérôme Savoyen. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ses débuts sont réussis et prometteurs, car son trait dynamique, à l’inspiration très manga, colle à merveille à ce récit moderne et trépidant. A coup sûr, « IRL » est une BD qui plaira à tous ceux qui aiment les histoires explorant la frontière souvent trouble entre réel et virtuel.