A la recherche de New Babylon – Dominique Scali

Après notre énorme coup de cœur pour Les marins ne savent pas nager de Dominique Scali en 2022, on ne pouvait pas passer à côté de son premier roman. Voici donc notre chronique d’A la recherche de New Babylon.

Il nous aura bien fallu les plus intrépides copilotes de lecture pour enfin nous aventurer dans ce roman tant on appréhendait sa lecture (la perfection du premier lu affecte toujours le second). On remercie donc Hauntya et l’Ourse bibliophile de nous avoir accompagné dans l’Ouest américain du XIXème !

Vous pourrez retrouver leurs chroniques en cliquant sur les deux liens suivants :

A la recherche de New Babylon vu par Hauntya

A la recherche de New Babylon vu par L’Ourse bibliophile

Comme d’habitude, avant de vous partager notre chronique du livre, un résumé de l’éditeur :

recherche Babylon Dominique Scali

New Babylon n’existe pas. Mais s’il fallait créer cette ville, les duels y seraient permis et il n’y aurait pas d’autre loi que celle interdisant les hommes de loi. On y aurait constamment le souffle coupé, à cause des paysages, et ultimement parce qu’on y finirait la gorge tranchée. Ce serait un endroit dangereux où, enfin, chacun connaîtrait sa vraie valeur.
Dans ce western enlevant, qui dépeint avec minutie l’Ouest américain des années 1800, le Révérend Aaron, Charles Teasdale, Russian Bill et Pearl Guthrie fouillent le désert à la poursuite d’un idéal impossible, laissant derrière eux les empreintes de leurs destins. Dans un monde où rien ne dure, « il n’est pas question de fuir la mort, mais de choisir son arène ».

Rendre hommage et se réapproprier le western

C’est avec énormément d’enthousiasme que nous avons entamé notre lecture. Le prologue, se déroulant dans la ville de Paria donne le ton. Avec sa scène d’ouverture typique du western qui nous fait aller à la rencontre d’un homme seul un peu louche arrivant dans une ville reculée, au milieu de rien, Scali inscrit son texte dans la grande tradition du western. On n’a pas pu s’empêcher de trouver à certaines scènes une profonde cinématographie, surtout dans la première partie du roman dans lequel l’autrice pose les décors. Et les décors, elle sait les planter, Dominique Scali !

« On ne pouvait dire si les terres sablonneuses de cette ville étaient grises ou jaunes, mais on pouvait affirmer sans hésitation qu’elles avaient le teint des hommes malades juste avant qu’ils expirent. »

A la recherche de New Babylon, Dominique Scali, édition Libretto, 2016, p. 32.

Prenez la quasi scène d’ouverture du livre, par exemple. On peut presque sentir les successions de plans, le cri du Révérend déchirant, se poursuivant d’un plan à l’autre dans cette scène qui donne parfaitement la sensation que tous les personnages se souviennent encore de ce qu’ils faisaient lorsque cet évènement est survenu :

« Dès qu’ils entendirent le cri, les Sevener crurent que des Navajos avaient attrapé et scalpé l’un des leurs. Un cris long et rauque, qui exprimait l’horreur et la douleur. Le genre de déchirement dans l’espace sonore qui vous informe qu’il est déjà trop tard. Pour se faire entendre, le cri dut être plus fort que le sifflement de la bouilloire et le battement de la machine à coudre dans la cuisine où se trouvaient la mère et les enfants. Il dut se faufiler à travers les coups de marteau que frappait le père sous la rambarde. Il dut contourner la colline et couvrir le beuglement des bœufs pour se rendre aux fils qui rassemblaient le bétail à trois miles de là. Il y eut sans doute un écho, une réverbération contre les vallons, quelque chose d’assez amplifiant pour que tous les membres de la famille fussent parcourus du même frisson en même temps. »

A la recherche de New Babylon, Dominique Scali, édition Libretto, 2016, p. 12.

À l’image des westerns de Corbucci, A la recherche de New Babylon c’est un bon mélange de fango e sangue (la boue et le sang). En voyant la description de la ville de Potosi on pense inévitablement à la ville où vient s’enterrer Django dans le film éponyme de 1966 :

« C’était un hameau de boue et de merde. La boue mangeait les souliers, grimpait, escaladait, tandis que les souliers s’enfonçaient, se perdaient et perdaient leur raison d’être. La boue, oui, si vous aviez vu la boue. Le sable fin, sournois. Partout. La merde, le liant de toutes ces substances. Tout était dans la merde et la merde était dans tout. »

A la recherche de New Babylon, Dominique Scali, édition Libretto, 2016, p. 45.

Ajoutez à cela une bonne dose de violence et des touches d’humour bien senti. Tous les éléments qui, au cinéma, font un bon western à l’italienne. Mais Dominique Scali sait aussi tromper nos attentes, rompre avec l’attendu. Consciente de toute une tradition qui la précède, elle s’amuse par exemple à évoquer un tripot, pas vraiment tel qu’on se le figure quand on a vu ou lu un ou deux westerns. Elle définit alors le lieu plus par ce qu’il n’est pas que par ce qu’il est :

« Ce n’était pas le plus bruyant des tripots. Il n’y avait pas de piano, pas de musique. Pas de meutes de filles ivres pour emplir la pièce de leurs rires forcés. Les mineurs jouaient leurs cartes en marmonnant et en s’enfilant des verres de liquide ambré. S’il avait voulu, il lui aurait été facile d’attirer l’attention des gens et de leur communiquer ce que Dieu pensait de leurs vies insignifiantes. »

A la recherche de New Babylon, Dominique Scali, édition Libretto, 2016, p. 40.

Mais malgré cette volonté de renverser certains clichés du genre, les méthodes du western ne sont jamais loin. Une page plus loin, l’autrice procède à une dilatation du temps : typique. Le temps s’étire, s’arrête presque, on sent la fusillade venir… Eh puis au fait non !

« Le Révérend cessa de chiquer son tabac. Le regard du barman glissa de la femme aux clients. Les joueurs de la table voisine suspendirent leur geste, cartes en main, pour regarder par-dessus leur épaule. La femme se retourna et marcha à reculons jusqu’au bout du comptoir, prête à s’accroupir au premier mouvement brusque. Là, elle serait à l’abri des balles perdues mais s’exposerait aux éclats de miroir. Puis un ronflement, rauque et rocailleux, brisa le silence. Le Révérend scruta le fond de la salle et décela un homme qui dormait assis sur une chaise dans la partie la plus sombre du tripot, inconscient de la tension qui régnait. Il avait la tête penchée vers l’arrière et la bouche ouverte.
L’homme au chapeau mou retira ses mains de dessous la table avec une lenteur paralytique et ouvrit les paumes. Il n’avait pas d’arme, tandis que les mains de Malvern étaient toujours cachées. Sa paupière gauche eut un spasme.
– Allez, fous le camp, dit Malvern en indiquant la sortie du menton. »

A la recherche de New Babylon, Dominique Scali, édition Libretto, 2016, p. 40-41.

Avec ce cadre bien planté, un prologue à la hauteur de la quatrième de couverture, on s’attendait à une excellente lecture. Malheureusement, la qualité ne tient pas sur la longueur, malgré quelques fulgurances notre intérêt a chuté à plusieurs reprises au cours de la lecture.

La plume au rendez-vous…

L’univers qu’elle crée ici n’emprunte en rien aux genres de l’imaginaire, au contraire des Marins ne savent pas nager qu’y s’inspirait clairement de la légendaire ile d’Ys. Ici donc, on ne retrouvera pas le langage poétique, la langue recherchée qu’on avait appréciée dans son second roman. La langue est ici plus classique, la poésie du texte se construit le plus souvent à l’échelle du paragraphe, par son rythme et par l’art de la chute que Scali maitrise à la perfection, plus qu’à l’échelle de la phrase et du mot même, comme c’était le cas dans Les Marins ne savent pas nager. Deux styles différents, l’un plus onirique et mélancolique, l’autre plus crue et espiègle.

« Au cours de sa vie, Charles Teasdale avait échappé à la pendaison à neuf reprises. Et puis un jour, il en eut assez et se pendit lui-même. »

A la recherche de New Babylon, Dominique Scali, édition Libretto, 2016, p. 31.

Dominique Scali ponctue son texte de répliques dignes des meilleurs dialogues des films de Leone. Certains font mouche, d’autres moins mais toujours est-il qu’on s’est demandé au début si elle les avait inventés ou bien tirés d’un film (et nos copilotes de lecture aussi d’ailleurs !), preuve que c’est souvent percutant.

Mais des personnages aux abonnés absents

Enfin si l’on devait déceler dans A la recherche de New Babylon les prémices des Marins ne savent pas nager, on dirait qu’on y retrouve le gout de Dominique Scali pour les fresques humaines. Entre un pyromane hors-la-loi pendu dix fois, une femme que l’on dit s’être marié trente fois, un mythomane aux cent meurtres et un révérend tout ce qu’il y a de moins chrétien, les personnages sont nombreux et haut en couleur. Leurs destins s’entremêlent, on apprend avec plaisir de leurs passés à travers les bons dans le temps habilement réalisés par l’autrice. Les allers-retours dans le temps sont fluides, on en verrait presque les cartons d’intertitre nous indiquant l’année entre chaque scène.

Nous avons en particulier apprécié les chapitres concernant Pearl et Russian Bill… Malheureusement le reste nous a paru insuffisant. Nous sommes restées assez distantes avec les personnages pour lesquels on a ressenti peu d’attachement. L’idée d’un destin rêvé pour chacun.e, à l’image de l’Ouest rêvé par les « pionniers » lors de la ruée vers l’or nous plaisait bien, comme quelque chose d’un peu mythique qui évoquerait la nostalgie des choses qui nous manquent mais qu’on n’a jamais connues.

« La ville n’a jamais existé, mais un endroit qui n’a jamais existé ne peut pas mourir. »

A la recherche de New Babylon, Dominique Scali, édition Libretto, 2016, p. 371.

Au-delà de toutes les bonnes idées que Dominique Scali pour son récit et pour ses personnages (auxquels on reconnaîtra tout de même une certaine originalité dans l’hommage), ces derniers sont restés trop désincarnés pour que l’on arrive vraiment à « entrer en discussion » avec eux et avec l’œuvre.

Malgré un début de lecture tambours battants, A la recherche de New Babylon nous laisse un goût de pas assez. C’était le risque de lire le premier roman de l’autrice après avoir lu le second. On n’a pas pu s’empêcher de comparer nos impressions et face aux Marins ne savent pas nager, A la recherche de New Babylon ne fait pas le poids dans nos cœurs. Toutes les idées semblaient être là pour que cette histoire soit bien menée mais elle nous a laissées sur notre faim et on a eu la désagréable sensation de ne pas savoir où l’autrice voulait nous emmener au-delà de cet Ouest fantasmé. Comme si vous mélangiez plein de bons ingrédients mais que le plat final manquait de ce petit quelque chose qui le rendrait délicieux. Une légère déception qui n’entame en rien notre envie de suivre les futures publications de l’autrice !

éé

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois