Ahmet Altan : Madame Hayat

ahmet altan, Ahmet Altan, né à Ankara en 1950, est un écrivain et essayiste turc très connu pour ses engagements en faveur de la démocratie, des droits culturels, des Kurdes et pour son travail sur le génocide arménien. Son roman, Madame Hayat, prix Femina en 2021, vient d’être réédité en poche.

Si les lieux ne sont jamais précisés dans le texte, on peut légitimement penser que le roman se passe en Turquie, à Istamboul. Fazil, le narrateur, est étudiant en littérature, sa famille vient d’être ruinée entrainant le décès de son père. Boursier, donc pauvre, il loue une chambre dans une pension et se fait quelque argent comme figurant dans une émission de télévision. C’est là qu’il fait la connaissance de madame Hayat, une femme d’âge mûr mais très attirante dont il tombe amoureux et avec laquelle il va découvrir les plaisirs de la chair. C’est aussi sur ce même plateau de télévision qu’il va rencontrer Sila, une jeune fille de son âge, étudiante elle aussi, dont la famille aisée vient d’être ruinée par le pouvoir politique en place. Fazil se retrouve avec deux femmes diamétralement opposées qui vont chacune à leur manière, lui apprendre la vie : une éducation sentimentale qui se mêlera plus tard à une prise de conscience politique…

Quel superbe roman ! Et plus encore quand on sait qu’il a été écrit alors qu’Ahmet Altan était en prison durant quatre ans, accusé d'avoir participé au coup d'Etat raté du 15 Juillet 2016 ; finalement la cour de cassation annulera sa condamnation et il sera libéré.

Je l’ai dit, les deux femmes ont des caractères très différents qu’on expliquera en partie par leur différence d’âge. Madame Hayat vit l’instant présent, s’appuie sur les points positifs de la vie et en a une connaissance pragmatique, sa culture est autodidacte, elle ne regarde que des documentaires à la télé et emmagasine une quantité d’informations diverses, tout le contraire de Fazil qui lui ne vit que dans les livres et pour les livres, avec elle il y a le sexe et le plaisir. Sila, elle, partage son amour pour la littérature et d’excellents passages du romans ont trait aux écrivains, à l’écriture, grâce à leurs professeurs et c’est passionnant (« La littérature ne s’apprend pas. Je ne vous enseignerai donc pas la littérature. Je vous enseignerai plutôt quelque chose sans quoi la littérature n’existe pas : le courage, le courage littéraire. » Savoureux puisque l’auteur était alors en prison…).

En arrière-plan de cette étude psychologique, la situation sociale et politique du pays, la misère, la corruption, la peur insidieuse qui s’installe partout avec les descentes de police et les arrestations arbitraires sans motifs particuliers, les milices de barbus bâtons à la main qui s’en prennent à ceux qui s’éloignent de la religion etc.

Fazil qui jusqu’alors ne s’y intéressait guère va lentement prendre conscience de la situation et s’impliquer doucement dans la résistance, ce qui va l’amener à devoir gérer un douloureux dilemme : quitter son pays et s’exiler au Canada avec Sila qui y a un contact, poussé aussi par madame Hayat encourageant la jeunesse à vivre libre, en paix et heureuse, ou bien rester sur place, enseigner aux autres la littérature, mener son combat en dépit des risques évidents ?

Je le répète, un roman superbe.


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois