Et si la vie était une grande partie d’échecs?

Et si la vie était une grande partie d’échecs?

Echecs (Victor L. Pinel – Editions Grand Angle)

Et si la vie était une grande partie d’échecs? C’est la question que pose ce roman graphique choral, dans lequel toute une série de personnages avancent dans la vie comme sur un échiquier. Le point de départ de ce jeu d’échecs géant, dont on voit le damier sur la couverture, se situe dans une maison de repos. Samir, un jeune plein d’enthousiasme, est chargé par la directrice de tenir compagnie à une vieille dame dans le cadre d’un programme de visiteurs accompagnateurs. Malgré toute la bonne volonté affichée par Samir, il s’avère rapidement que c’est quasiment une mission impossible parce que cette dame, qui s’appelle Madame Dubois, ne veut ni sortir de sa chambre ni se faire des nouveaux amis. Après d’âpres négociations, elle accepte finalement d’apprendre à Samir à jouer aux échecs, ce qui va amener la vieille pensionnaire acariâtre à sortir un peu de sa coquille. Pendant que Madame Dubois se laisse lentement apprivoiser par Samir, toute une série d’autres personnages bougent sur l’échiquier, avec parfois des connexions entre eux. On suit notamment Marion, la directrice de la maison de retraite, qui vit très mal son divorce et qui ne parvient pas vraiment à tourner la page. On suit également Mathieu, l’acteur vedette d’une série à succès. Tout semble aller pour le mieux pour lui, mais il se sent prisonnier de ce rôle arrogant de « King » qui l’étouffe de plus en plus. Parmi les autres protagonistes, il y a aussi Julie, une photographe en décalage par rapport à son compagnon qui travaille de nuit. Il y a Renaud, un infirmier qui vit mal le fait que son mari est parti pour plusieurs mois afin de travailler sur un projet humanitaire au Costa Rica. Il y a Lys, une jeune chanteuse de rue qui veut à tout prix éviter de s’attacher à quelqu’un… Chacun de ces personnages occupe une place sur le plateau de jeu, chaque pièce ayant ses propres conditions de déplacement, avec ses avantages et ses faiblesses. Les fous se croisent sans vraiment se trouver, le cavalier est capable de sauter au-dessus des autres pièces mais il est vulnérable, le roi et la reine sont des pions très importants mais avec peu de liberté…

Et si la vie était une grande partie d’échecs?

« Echecs » est une histoire particulièrement bien construite, qui repose sur une stratégie digne des plus grands joueurs. Certes, on est un peu désarçonné au début parce qu’on se demande vraiment où l’auteur veut en venir avec tous ces personnages qui ne semblent pas reliés entre eux. Mais on rentre vite dans la partie et au final, toutes les pièces finissent par trouver leur place. Le titre de cette bande dessinée fait bien sûr référence au jeu des échecs, mais il évoque également les échecs dans la vie. Car la principale force de cet épais roman graphique, c’est son côté universel. C’est un livre qui parle des relations humaines et amoureuses, en abordant des questions auxquelles nous sommes (ou serons) tous confrontés un jour ou l’autre: la fidélité, les mensonges, les relations à distance, le temps qui passe… Pour le dire simplement, « Echecs » est un récit très humain, qui montre que les relations personnelles sont vraiment compliquées, mais qu’on essaie tous de faire du mieux qu’on peut, avec parfois des victoires et parfois des défaites au bout de la partie. On doit cet album étonnant à un jeune auteur espagnol, Victor L. Pinel, qui s’était déjà révélé en tant que dessinateur sur deux albums remarquables: « Puisqu’il faut des hommes » (sur un scénario de Philippe Pelaez) et « Le Plongeon » (avec Séverine Vidal). Avec cet album ambitieux, sur lequel il a travaillé pendant plusieurs années, il prouve qu’il est également un excellent scénariste. « Même si je ne suis pas un joueur expert, j’ai toujours aimé les échecs. J’aime surtout la façon dont tout s’entrelace afin que chaque pièce trouve sa place et son moment dans la partie. Même la pièce la plus insignifiante peut être décisive à un moment donné, car elle fait partie d’un tout », explique l’auteur. « Afin que tout soit bien calé, il fallait être dans le détail. Lorsqu’on travaille l’histoire d’un personnage, on doit s’assurer que l’on n’a rien oublié des autres histoires. Très souvent il faut arriver à la fin d’une histoire, puis revenir au début, pour la regarder d’un autre point de vue. » Pari réussi pour Victor L. Pinel, qui remporte la partie haut la main. Echec et mat!