Inconnu à cette adresse de Kressmann Taylor

En plus d’être la nouvelle parfaite en termes de construction, Inconnu à cette adresse est un texte fort, susceptible de toucher, de bousculer et d’émouvoir un large lectorat, à commencer par les plus jeunes. Une oeuvre que l’on pourrait considérer d’utilité publique…

Inconnu à cette adresse de Kressmann Taylor

Inconnu à cette adresse de Kressmann Taylor (éditions J’ai lu)

Alors que mon beau-fils préféré préparait le brevet cette année, j’ai tenu à le soutenir à ma manière en sélectionnant pour lui des romans courts qui puissent l’aider à améliorer sa syntaxe et à muscler son vocabulaire. Il s’est prêté de bonne grâce à ce travail complémentaire et, de son propre aveu, a même éprouvé du plaisir à la lecture de certaines de ces œuvres. Je vais d’ailleurs m’appuyer sur ses retours de lecture pour vous proposer prochainement une sélection de romans courts susceptibles de plaire à vos ados. Mais en attendant, j’avais envie de vous parler d’un livre qui, une fois n’est pas coutume, a atterri entre ses mains avant de finir dans les miennes. 

Si je n’avais pas encore lu Inconnu à cette adresse avant de lui soumettre ce livre, ça n’est pas parce qu’il m’était totalement étranger, bien au contraire dans la mesure où on le voit sur les tables de toutes les bonnes librairies, mais seulement parce qu’il prend racine à l’aube de la Seconde guerre mondiale. Comme d’autres lecteurs je présume, j’ai développé au fil de mes lectures une forme d’overdose littéraire pour certains thèmes ou certaines époques et celle-ci en fait partie. Malgré tout, je lui ai promis que s’il le lisait, je le lirai à mon tour afin que nous puissions en discuter ensemble. Après tout, 80 pages c’est vite passé, me suis-je dit pour me motiver à ce moment-là. Nous avons donc tenu parole lui et moi, il m’a même fait part de son effarement en cours de lecture par rapport à une scène particulièrement difficile et trop rapidement expédiée à son goût. En général, quand c’est trop court c’est forcément bon signe et bien évidemment, en me disant ce genre de chose, il ne pouvait qu’aiguiser ma curiosité. Je me suis donc à mon tour lancée dans la lecture de ce roman (ou de cette nouvelle, ou novella, je laisserai à chacun le soin d’en juger) épistolaire et je peux vous dire que j’en suis ressortie très impressionnée.

Je n’ai jamais haï les Juifs en tant qu’individus – toi, par exemple, je t’ai toujours considéré comme mon ami -, mais sache que je parle en toute honnêteté quand j’ajoute que je t’ai sincèrement aimé non à cause de ta race, mais malgré elle.

Ce texte atteint un niveau de perfection rarement égalé dans le domaine de la nouvelle. C’est à la fois un travail d’orfèvre qui fait naître un bijou de concision et une bombe qui vous explose en plein visage. Par un habile procédé narratif, l’auteure se soustrait aux descriptions verbeuses pour aller directement gratter jusqu’à l’os ce qui relève du mécanisme psychologique et des rouages de l’endoctrinement et de la manipulation des masses. En privilégiant la concision, Kressmann Taylor a réussi à marquer les esprits en cueillant son lecteur à froid. Si elle est loin d’être une écrivaine aguerrie au moment où naît sous sa plume Inconnu à cette adresse, elle parvient à ménager son effet sans rien sacrifier à son histoire, à sa morale et sans bâcler la chute, autant de points sur lesquels des auteurs plus confirmés se seraient sans aucun doute cassé le nez.

La subtilité du texte nécessite bien évidemment d’être accompagnée d’un commentaire lorsque cette histoire est lue par un jeune public. Il faut aider les ados à prendre de la hauteur et à se poser les bonnes questions pour prendre toute la mesure du message transmis par Kressmann Taylor. En complétant cette lecture par celle de La Vague de Todd Strasser, nous tenons l’occasion, en tant qu’adultes, de développer l’empathie de nos lecteurs en herbe et de préparer de futurs citoyens éveillés. C’est typiquement le genre de livre qui vient poser les jalons indispensables à tout esprit critique en construction. Je suis très heureuse d’avoir pu partager cette expérience de lecture avec mon beau-fils qui, soit dit en passant, a cartonné à l’épreuve de français du brevet. Comme quoi, il suffit souvent de planter la graine…


L’ESSENTIEL

Couverture de la version audio d'Inconnu à cette adresse

Couverture de la version audio d’Inconnu à cette adresse

Inconnu à cette adresse
Kathrine Kressmann Taylor
Traduit de l’américain par Michèle Lévy-Bram
Edité chez J’ai lu et dans de multiples collections scolaires
Publié pour la première fois en 1938 aux Etats-Unis
80 pages

Genre : roman court, novella
Personnages : les deux amis Martin et Max
Plaisir de lecture : ❤❤❤❤❤
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : La Vague de Todd Strasser, Si c’est un homme de Primo Levi, Le joueur d’échecs de Stefan Zweig

RESUME DE L’EDITEUR

Ils sont tous deux Allemands. L’un est juif, l’autre non, et leur amitié semble indéfectible. Ils s’expatrient pour fonder ensemble une galerie d’art en Californie, mais, en 1932, Martin rentre en Allemagne. Au fil de leurs échanges épistolaires, Max devient le témoin impuissant d’une contamination morale sournoise et terrifiante : Martin semble peu à peu gagné par l’idéologie du IIIe Reich. Le sentiment de trahison est immense : la tragédie ne fait que commencer…


TOUJOURS PAS CONVAINCU ?

3 raisons de lire Inconnu à cette adresse

  1. vous passerez par toutes les émotions en une heure de lecture seulement
  2. cette histoire diabolique vous hantera longtemps
  3. d’un abord banal, ce livre est d’une puissance rarement égalée

3 raisons de ne pas lire Inconnu à cette adresse

  1. ce livre est bien trop court, on en voudrait encore !
  2. la loi du Talion exposée dans ce roman peut prêter à une double interprétation
  3. le style épistolaire peut laisser certains lecteurs sur le bord de la route

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